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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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(cc) Unsplash / Martin Adams

La grande histoire du coup de sang

Michel Eltchaninoff publié le 09 janvier 2019 9 min

La civilisation antique ne méprisait pas la colère : à Jérusalem, elle était divine, à Athènes, elle était l’apanage du guerrier. Si les Modernes ont tenté de la contrôler, elle est réapparue avec les luttes politiques qui ont jeté bas l’Ancien Régime. 

Plus que saine, la colère est d’abord sainte. Spectaculaire, elle terrifie et paralyse les humains. Elle est donc avant tout une prérogative divine. Dans la Bible, elle prend l’allure d’un tsunami dévastateur. Écoutons le prophète Isaïe : « Voici venir de loin le nom du Seigneur, sa colère est ardente, écrasante, ses lèvres débordent d’indignation, sa langue est comme un feu dévorant. » Les « coups de gourdin » qu’assènera Dieu sur les Assyriens, « dans la flamme d’un feu dévorant, dans une tornade de pluie et de grêle », seront toutefois accompagnés « par les tambourins et les harpes ». La sainte colère est sans haine. Elle a la beauté et la légalité d’un événement naturel. Elle est presque objective. Le déluge, la destruction de Sodome et de Gomorrhe, les dix plaies d’Égypte ne sont que la manifestation de la puissance divine. Les prophètes, eux aussi, ont le droit de s’énerver. Mais ils le font de manière moins glorieuse. Moïse, redescendant du mot Sinaï, constate que les Hébreux se sont égarés dans l’adoration du Veau d’or. Non content de briser les tables de la loi rédigées et offertes par Dieu – geste qui semble absurde et impie –, il fait, pour la peine, assassiner 3 000 personnes. Il faut dire qu’il venait de négocier la survie de son peuple avec Yahvé, furieux d’avoir été trahi.

La colère n’est pas absente non plus des Évangiles, qui présentent un Dieu incarné, parfois très humain, dont le message éthique est l’amour du prochain et le pardon, et non la vengeance. L’Évangile de Jean raconte pourtant que Jésus, voyant que le Temple de Jérusalem était empli de marchands et de changeurs d’argent, se fabriqua un fouet avec des cordes, chassa les hommes et les animaux, et renversa leurs tables. L’image est restée. Elle signifie que, dans certaines circonstances, une action spectaculaire, choquante, brutale parfois, a seule le pouvoir de bouleverser radicalement une situation inextricable. La colère divine, paternelle, exemplaire, justifiée, cosmique, laisse place à une colère horizontale, qui a le pouvoir de transformer les choses. Dans les deux cas, dans le monde juif comme dans le monde chrétien, la colère, quoique dangereuse, peut être utile, même à Dieu.

 

Démesure tragique, indignation humaine

L’éthique grecque antique recommande la tempérance et la mesure. « Rien de trop », est-il écrit, parmi les maximes des sept Sages, à l’entrée du temple de Delphes. Il n’est pas étonnant que les symptômes et les effets négatifs de la colère soient abondamment décrits. La colère est d’abord hybris (« démesure »). Elle nous fait sortir de nos limites et nous transforme en bête plutôt qu’en dieu. Prenons Ajax, officier de l’armée grecque à Troie. Furieux de ne pas avoir été choisi pour diriger l’armée à la mort de son ami Achille, il se met en rogne et sent monter en lui des envies de massacre. Mais, dans la tragédie que lui consacre Sophocle, au Ve siècle avant J.-C., Athéna entre en scène et, jouant un sale tour à Ajax, nous renseigne sur la nature de la colère : « ayant jeté des images mensongères dans ses yeux, je l’ai détourné vers le bétail du butin, vers les troupeaux mêlés, non encore partagés, et que les bouviers gardaient confusément. Et il s’est rué, massacrant les bœufs porteurs de cornes, frappant çà et là, pensant tuer de sa main les Atréides, et se jetant tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre. Et moi j’excitais l’homme en proie à la démence furieuse et je le poussais dans des embûches. Enfin, se reposant de sa tâche, il a lié les bœufs survivants et les autres troupeaux, et il les a tous emmenés dans ses tentes, certain de posséder des hommes et non des bêtes cornues ; et maintenant il les tourmente, liés dans sa tente. » La colère aveugle, trompe et peut faire tomber un héros dans ce qu’il redoute le plus au monde : le ridicule. Ajax s’en suicide de dépit. Les sages grecs ont un boulevard devant eux pour condamner ces excès et encourager leurs semblables à rester calmes, impassibles, tempérants et prudents.

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