L’ailleurs, ici et maintenant

Cédric Enjalbert publié le 5 min

Alors que nous sommes plus ou moins assignés à résidence, devenus par la force des événements touristes chez nous, devons-nous nous réjouir de ce recentrement ou craindre que le rétrécissement de nos perspectives nous conduise au repli ?

J’ai reçu un texto de mes parents, accompagné d’une photo. Elle représentait un pont de pierre, accroché aux rives d’une vallée verdoyante, piquée de fleurs jaunes et mauves. Au fond, un village de pierre écrasé par un soleil de plomb. Une carte postale très pittoresque, téléphonée de Lozère, et qui m’a rappelé mon enfance. Depuis une quarantaine d’années, mes parents passent une partie de l’été dans le département le moins peuplé de France. Eux ont élu cette terre non par défaut mais pour son éloignement de tout, de tous, et son dépaysement tranquille. Des plaines de la Margeride aux profondeurs des gorges du Tarn, de ville en ville, la toponymie sonne comme une promesse d’exotisme. Écoutez un peu : Cheylard-l’Évêque, Nasbinals, Saint-­Alban-sur-Limagnole, Saint-Chély-d’Apcher… Nous poursuivions parfois en voiture jusqu’à Saint-Affrique, qui, dans ma tête d’enfant, avec ses deux « f » curieux, valait déjà un voyage aux confins. 

Une bonne partie des Français, ceux du moins qui auront l’opportunité de prendre des congés, goûtera cette année au charme discret de nos campagnes. Parmi les 44 % des Français qui prévoient de partir en vacances cet été, une majorité (71 %) resterait en effet en France, selon un sondage de l’in­stitut OpinionWay paru en juin. Le choix de l’Hexagone… plus ou moins contraint, certes. La Corrèze plutôt que la Corée, les châteaux de la Loire plutôt que les temples d’Angkor et la baie de Somme plutôt que les côtes siciliennes. Depuis mars et la fermeture des frontières, nous avons redécouvert à marche forcée notre environnement immédiat, pris soin de nos proches comme jamais, revu nos habitudes de consommation – en privilégiant le commerce de proximité et les circuits courts – et de déplacement – en optant pour des transports plus « conviviaux » –, en nous demandant finalement : l’expérience proche ne vaut-elle pas tout aussi bien, sinon mieux, que l’aventure lointaine ? Le coin de la rue aussi bien que le bout du monde ? À ce sujet, deux écoles.

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