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domaine public | source : Gallica

Magali Bessone : “Les races sont socialement construites” 2/2

Magali Bessone publié le 21 mai 2013 5 min

Le jeudi 16 mai 2013, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi du Front de gauche visant à supprimer le mot « race » de la législation. Magali Bessone, maître de conférences en philosophie politique et morale, auteure de Sans distinction de race ? et auditionnée par la commission parlementaire, défend que les races sont socialement construites et que la suppression du mot « race » rendrait difficile la lutte contre les discriminations raciales. Explications.

 

Dans votre livre Sans distinction de race ?, vous proposez un « usage analytique et critique du concept de race ». Qu’entendez-vous par là?

Magali Bessone : Analyser le concept de race, c’est essayer de comprendre son statut : son référent, ses éléments définitionnels ; son fonctionnement : quels sont ses usages (scientifiques ou naïfs), dans quel type de discours il est pris – s’il s’agit d’anthropologie, de biologie ou de politique.

Vient ensuite l’idée de critique. Ma thèse, c’est que les races existent puisqu’elles sont socialement construites. En France, le terme est tabou. Refuser d’en parler, c’est s’interdire de diagnostiquer, puis de traiter une réalité sociale. C’est ne pas se donner les moyens de dire que les Français pensent, vivent, agissent, comme s’il existait des races différentes. Un prénom à connotation différente, une couleur de peau, un type de démarche ou d’accent fonctionnent comme des marqueurs raciaux qui suscitent un certain type de comportement. Par exemple, identifier quelqu’un comme d’une race différente et « inférieure » et lui demander deux mois de dépôt de garantie pour le loyer au lieu d’un mois.
 

À lire
Magali Bessone, Sans distinction de race ? Une analyse critique du concept de race et de ses effets pratiques (Vrin, 2013).


Comment définissez-vous le concept de « race »?

Je soutiens l’idée que la race est un concept, contre ceux qui pensent qu’elle est une pure illusion sans réalité conceptuelle. Dans les épistémologies du XVIIIe ou du XIXe siècles, la race était considérée comme un concept biologique. On sait aujourd’hui que c’est faux : il n’y a pas de « races » qui correspondraient à des groupes distincts à l’intérieur de l’espèce humaine. Ce concept est en fait social. Il fait référence à une réalité construite : des groupes de l’humanité différenciés politiquement, économiquement, socialement, culturellement, par une histoire particulière.

Mon hypothèse est constructiviste et contextualiste. Il n’y pas de concept de race sub specie aeternitatis mais des concepts de race qui dépendent de contextes politiques et sociaux variés. C’est pourquoi la race aux États-Unis n’a pas le même type de référent qu’au Brésil, qu’en France ou qu’en Grèce au IVe siècle avant Jésus-Christ.

 

«Refuser d’en parler, c’est s’interdire de diagnostiquer, puis de traiter une réalité sociale. C’est ne pas se donner les moyens de dire que les Français pensent, vivent, agissent, comme s’il existait des races différentes»

 

En quoi les races ne sont-elles pas biologiques?

De nombreux travaux, en particulier aux États-Unis, portent sur la validité ou non du concept biologique de race. Or il est parfaitement attesté qu’il n’y a pas, entre des membres de soi-disant races, de différences génétiques statistiquement signifiantes.

Si l’on prend un représentant de chacune des différentes « races » pertinentes dans le contexte américain (c’est-à-dire proposées en réponse à la question du recensement « à quelle race appartient l’individu X ? » — blanche, noire, amérindienne, asiatique, etc.), et que l’on regarde leur patrimoine génétique, on se rend compte que le degré de variation entre eux est inférieur à celui qu’on peut trouver dans les autres espèces animales pour les différencier « racialement ».

Une acception biologique récemment proposée est celle de « population », qui désigne, en génétique, dans des populations un ensemble d’individus qui se sont reproduits exclusivement entre eux pendant un temps suffisamment long pour qu’apparaisse une spécificité génétique. Or cette durée et ce degré d’endogamie suffisants n’existent pas dans l’histoire de l’humanité. D’Afrique en Europe ou en Asie, les hommes ont toujours été mobiles. L’infinité de croisements rend « intraçable » aujourd’hui l’existence de telles « races/populations ».

Enfin, parler de races au sens biologique n’est jamais neutre. Depuis les travaux de Bruno Latour, on sait qu’il n’y a pas de vérité scientifique objective et neutre, mais des vérités scientifiques qui sont prises dans des réseaux sociaux qui les construisent et leur donnent leur sens. Vouloir utiliser ce concept biologiquement, c’est déjà avoir une position politique.

 

Quand on parle de « race » en France, à quoi fait-on référence?

En France, l’idée est tout à fait particulière. Le concept de « race » a une histoire qui le rapporte à deux grandes acceptions dans lesquelles il a été utilisé politiquement. La première le rattache à Vichy et l’État français. C’est au nom du fait que les Juifs étaient considérés comme une race distincte qu’ils ont été déportés et massacrés. La seconde, plus ancienne, est celle qui a fonctionné pour justifier les guerres coloniales puis l’organisation administrative, politique et économique de la colonisation.

Mais il existe aussi une autre acception, attestée dès le XVIIe siècle, prise dans des stratégies de légitimation du pouvoir monarchique au moment où l’idée d’une monarchie de droit divin commence à battre de l’aile. On distingue des races de roi (Mérovingiens, Carolingiens, etc.), lignées familiales dont la noblesse est immémoriale. Ainsi, on a soit du sang noble soit du sang roturier. Ce qui est intéressant, c’est que cette acception n’est pas phénotypique : on ne détermine pas les races avec des  marqueurs qui seraient la forme du nez, la couleur de la peau, la forme des paupières. Le concept, dans cette protohistoire spécifiquement française, renvoie clairement à du non-visible. Par la suite se pose la question du repérage, de la « visibilisation », des races différentes, et donc de la mise en place de signes raciaux. Mais l’évidence de la visibilité des différences raciales est de l’ordre du fantasme : nous avons appris à voir ce qu’un discours politique et idéologique a désigné comme pertinent.

 

«Vouloir utiliser biologiquement le concept de “race”, c’est déjà avoir une position politique»

 

Quelle est la différence entre la conception des États-Unis, qui pose la question de la race dans le recensement, et la nôtre?

La question raciale aux États-Unis est très particulière. En 1790 a eu lieu le premier recensement américain après la création des États-Unis et la ratification de la Constitution en 1788. Il pose déjà la question raciale. Pourquoi ? Le problème racial aux États-Unis est historiquement le problème noir ainsi que le problème indien : tandis que les Noirs sont importés comme des marchandises et réduits en esclavage, les Amérindiens sont soumis à la déportation et à une extermination presque systématique. Il faut en effet, pour la République naissante, parvenir à distinguer des groupes de population différents et justifier ainsi de leurs droits et statuts politiques et économiques différents, alors même que sont proclamées l’égalité et la liberté de tous les hommes.

Les questions se sont compliquées au fil des recensements, étroitement dépendantes des contextes politiques successifs. D’autres groupes ont été perçus comme pertinents : les Japonais, les Chinois, les Philippins, etc. La question sur la race dans le recensement est dissociée d’une autre question qui porte sur l’appartenance ethnique : celle-ci est la question hispanique. C’est l’une des particularités de l’usage étasunien des termes de « race » et d’« ethnie » ou d’« ethnicité ».

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