Hors-série « Proust »

Raphaël Enthoven : Nietzsche et Proust

Raphaël Enthoven publié le 01 décembre 2022 3 min

Quand Proust s’attelle à transformer la souffrance d’aimer en volupté de comprendre l’amour, Nietzsche invite à « enfanter nos pensées du fond de nos douleurs »…

 

« Les durs sont des faibles dont on n’a pas voulu… et les forts, se souciant peu qu’on veuille ou non d’eux, ont seuls cette douceur que le vulgaire prend pour de la faiblesse. » Cette phrase n’est pas de Nietzsche (qui, pourtant, ne dit pas autre chose quand il montre, au début de la Généalogie de la morale, que la violence est une force faible et que, loin d’être une bonté, la faiblesse hallucine la méchanceté du fort qui, seul, a la liberté d’agir avec la même nécessité qu’il existe), mais elle se trouve dans Sodome et Gomorrhe, juste après le portrait d’une princesse Scherbatoff qui, feignant d’organiser ce qui lui arrive, choisit opportunément de se rendre inaccessible aux vanités d’un monde indifférent à son sort.

« Les petites énigmes constituent un danger pour les plus heureux. » Cette phrase, qui résume chacun des moments de la Recherche où le Narrateur se donne pour tâche de saisir « l’énigme de bonheur » que lui proposent des phénomènes aussi anodins que la saveur d’une madeleine, la forme de clochers sur fond de crépuscule, le bruit d’une cuiller sur une assiette, la raideur empesée d’une serviette et le fait de trébucher sur un pavé mal équarri, n’est pourtant pas de Proust mais de Nietzsche qui, après avoir invité le lecteur du Gai Savoir à se faire le poète de sa propre vie, décrit Homère en personne comme le martyre de son propre bonheur.

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