À Saillans, l’important, c’est de participer

Au premier étage de la petite mairie de Saillans, la lumière du soleil couchant éclaire les boiseries, les tableaux représentant la vallée de la Drôme, le buste de Marianne et, juste en dessous, le siège du maire. Elle rend encore plus majestueuse la salle du conseil municipal, aménagée juste après la Révolution. « Vous avez le trône du maire, en hauteur, décrit Sabine Girard, conseillère municipale. Une porte privée qui lui permet d’aller et venir comme un prince. En-dessous, les sièges des conseillers. Et devant, une barrière qui sépare les élus et les bancs du peuple. Voilà. Nous, on a voulu faire exactement l’inverse. »

Sabine Girard est l’une des têtes de la liste « Autrement pour Saillans… tous ensemble », élue à la mairie en mars 2014 et qui se définit comme « multicéphale ». Le bourg de la Drôme avait alors reçu une attention médiatique inédite. Pour la première fois en France, une commune allait être dirigée sur le modèle de la démocratie participative, porté par une liste qui promettait dans son programme de laisser le pouvoir aux habitants.

^{La mairie de Saillans © Gabrielle Klein}

« Ce n’était pas un projet contre l’ancien maire », précise Sabine Girard, moitié du binôme Environnement, énergie, mobilité dans l’organisation horizontale de la nouvelle équipe municipale. L’ancien maire, c’est François Pégon (MoDem), homme politique de métier. « Comme ailleurs, il dirigeait de façon pyramidale, il avait le pouvoir, il savait ce qui était bon pour nous. »

La contestation naît en 2010, lorsque les habitants ont vent d’un projet de supermarché à la lisière du village, soutenu par François Pégon. Certains se mobilisent, craignant l’extinction des commerces et de la vie locale. « C’était inconcevable que personne ne soit au courant et qu’on ne nous ait pas demandé notre avis, explique Sabine Girard. On a organisé des réunions publiques. Deux fois de suite, plus de 100 personnes sont venues. On s’est dit qu’il y avait une occasion formidable de lancer la démocratie participative. »

Une fois élue, la liste se serait bien passée d’un maire mais a dû composer avec les lois républicaines, qui obligent la commune à avoir un édile et un premier adjoint attitrés. Ce fut donc Vincent Beillard, l’un des membres de la liste. Deux ans et demi plus tard, Saillans s’est doté d’un nouveau fonctionnement, d’institutions et d’un vocabulaire démocratique faits maison. Serait-elle donc une minirépublique idéale, un village amené à tracer la voie d’une nouvelle forme de démocratie ?

« C’était une super idée. Mais la nature humaine a repris le dessus », refroidit, sous couvert de l’anonymat, la première habitante interrogée. Dans les rues, la démocratie participative divise. Les habitants arrivés il y a quelques années, notamment d’anciens urbains, sont globalement plus impliqués que les personnes originaires de Saillans ou de sa région. Le bourg, qui comptait au dernier recensement 1 199 habitants, en abrite désormais entre 1 250 et 1 300. L’arrivée de ces populations, souvent d’un profil proche des néoruraux, sensibles aux idées de gauche et écologistes voisines de celles mises en place à la mairie, n’est pas toujours bien reçue, même si elles ont plutôt tendance à s’enthousiasmer de l’accueil qui leur a été réservé. Avec tous ces changements, « certaines personnes âgées qui vivent ici depuis toujours se sentent un peu dépossédées de leur village », glisse un habitant.