Susan Wolf : “S’engager passionnément dans une activité ne suffit pas, il faut que ça en vaille le coup”
Dans son livre Le Sens dans la vie, récemment paru en français chez Éliott Éditions, la philosophe américaine aborde rigoureusement ce sujet immense, en ménageant une troisième voie entre recherche du bonheur et moralité.
En préambule à votre conférence consacrée au « sens dans la vie », vous remarquez que les universitaires ne s’intéressent pas beaucoup au sujet. Comment cela se fait-il ?
Susan Wolf : Dans une tradition liée au positivisme logique, la philosophie ambitionne de devenir une discipline scientifique qui ne s’occupe que d’objets clairs, précis, et pour lesquelles on peut trouver des arguments forts et convaincants. Tout ce qui concerne le sens dans la vie paraît à l’inverse bien nébuleux. Ce n’est pas le genre de sujet sur lequel vous pouvez progresser ou faire une découverte majeure. Autre raison de la méfiance des philosophes : cette question semble inséparable de celle de la religion. Beaucoup ont tendance à répondre qu’il est évident que la vie n’a pas de sens, et que cela a beau être déprimant, il n’y a pas grand-chose à ajouter. Je ne suis pas d’accord ! Il y a deux façons d’aborder la question. La première consiste à se demander si la vie en général a un sens et si nous avons un but à poursuivre. Cela revient à se demander pourquoi nous sommes là, pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien. C’est un questionnement métaphysique, mais il est possible de s’en emparer sans en passer par la religion. La deuxième façon de l’aborder consiste à se demander ce qui fait qu’une vie a du sens, ce qui nécessite de s’intéresser à la vie du point de vue des personnes : qu’est-ce qui fait que certaines vies semblent plus pleines de sens que d’autres ?
En quoi est-ce différent de se demander ce qu’est une vie heureuse ?
Ce n’est pas que ces questions n’ont rien à voir mais plutôt qu’elles se recoupent. Il est peut-être plus simple de prendre un exemple. Une vie peut être pleine de moments agréables – manger dans de bons restaurants, aller au cinéma, voyager… –mais elle peut manquer d’éléments qui nous rendent réellement fiers. Quelqu’un qui mène une telle vie peut aisément en venir à se demander : « Quel est l’intérêt de tout cela ? Quand je mourrai, ma vie aura-t-elle fait une quelconque différence ? » Cela ne nous satisfait pas entièrement d’être heureux et de goûter aux plaisirs de l’existence. Mais les personnes qui font quelque chose dont ils sont fiers et qui, depuis l’extérieur, semblent avoir une vie qui en vaut la peine sont-elles heureuses ? Rien n’est moins sûr. Les activités qui ont du sens sont en général très difficiles, risquées, et nous placent parfois dans des situations inconfortables. Votre vie peut donc être heureuse sans avoir de sens, et être pleine de sens mais pas très heureuse. Cela se complique si on fait entrer en jeu la question de l’éthique. Les artistes sont de bons exemples pour comprendre cela. Il n’est pas sûr que Picasso ait mené une vie moralement bonne, mais elle avait certainement du sens étant donné son accomplissement artistique et la satisfaction que cela a dû lui donner. Une vie peut donc être pleine de sens, même si elle n’est pas moralement bonne. Il me semble également qu’une personne qui dédie sa vie à une cause parce qu’elle s’y sent obligée – la médecine, par exemple, parce que sa famille ou son entourage l’y a fortement encouragé – ne peut pas en tirer satisfaction. Loin d’en être gratifiée, il y a de fortes chances que cette personne se sente aliénée par la situation. Entre la recherche du bonheur et celle d’une vie moralement bonne, il y a une troisième voie, celle de la quête du sens.
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