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© Volodymyr Hryshchenko/Unsplash

Journée internationale des droits des femmes

Tribune : “Pour un droit féministe à la GPA”

Ariane Nicolas publié le 07 mars 2024 9 min

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, notre journaliste Ariane Nicolas souhaite rouvrir le débat sur la gestation pour autrui (GPA). Elle propose d’inverser la perspective et de défendre la GPA, non pas au nom du droit de chacun(e) à élever un enfant, mais du droit des femmes de donner à qui elles le souhaitent un enfant qu’elles porteraient.


 

Depuis une quinzaine d’années, la plupart des arguments avancés dans le débat sur la gestation pour autrui (GPA) mettent en concurrence deux grandes revendications : le droit, pour les hommes homosexuels, d’accueillir et d’élever des enfants portés par des femmes faisant don de leur nourrisson ; et celui des femmes en général à être protégées contre une éventuelle marchandisation de leurs corps.

Cette approche penche aujourd’hui en faveur du second argument, puisque la GPA est interdite en France. Elle occulte toutefois une autre dimension de la discussion, à savoir le point de vue de la gestatrice elle-même : soit le droit pour une femme de donner son bébé. C’est en adoptant cette perspective que j’ai changé d’avis sur la GPA. Au fil de mes expériences personnelles et de mes réflexions, j’ai fini par ne plus comprendre ce qui m’interdisait, en tant que femme, de donner un enfant que j’aurais porté. Je vais tenter ici de m’en expliquer.

Le don d’enfant existe déjà

D’abord, rappelons une évidence. Il est déjà autorisé en France d’accoucher sous X, donc d’« abandonner » son enfant à la naissance – disons plutôt de le confier à la collectivité sans avoir à le reconnaître légalement. Il est aussi autorisé de quitter son foyer familial et de confier son enfant à un tiers – individu ou institution, si les circonstances l’imposent. Il est par ailleurs autorisé de tomber enceinte d’un homme gay qui souhaiterait avoir un enfant, et de le laisser l’élever seul si le cœur nous en dit. Il est enfin autorisé de donner ses gamètes, donc une portion d’enfant à venir. 

Autrement dit, l’idée qu’un enfant devrait rester auprès de sa mère tout au long de sa vie est largement battue en brèche. Dans les faits comme dans la loi, le don d’enfant existe déjà. D’ailleurs, cette idée semble déjà acceptée par une partie des femmes en capacité de procréer. La GPA n’est pas l’épouvantail parfois brandi : selon une étude Ifop parue en 2022, 40% des femmes françaises seraient prêtes à porter l’enfant d’une autre famille. Cela fait donc des millions de gestatrices potentielles qui se trouvent aujourd’hui privées d’un droit.

De l’accident au choix

La grande différence entre ces cas particuliers et la GPA est non pas le résultat du processus de don, mais la nature de la démarche. Il s’agit plutôt de fournir aux mères un filet de sécurité, pour les cas où les accidents de la vie (un problème financier, psychologique, médical…) l’imposeraient. Le don involontaire est possible, le don volontaire, non. Dit autrement, la loi autorise le don d’enfant comme conséquence et non comme but. Est-ce bien légitime ?

Qu’il faille établir des distinctions entre deux configurations de don paraît important. Prenons un exemple dans un autre registre : il existe un crime d’homicide volontaire et d’homicide involontaire. Quoique sanctionnés différemment dans la loi, ils sont tous deux considérés comme mauvais. On pourrait imaginer qu’inversement, le don d’enfant volontaire comme involontaire soit considéré comme bon, avec toutefois des dispositions légales adaptées à chaque situation. 

Dans une démocratie libérale, le législateur n’a pas à sonder les corps et les reins. Si une femme fait le choix d’accoucher sous X, elle n’a pas à justifier son acte. Si une femme quitte son foyer, elle doit en assumer les conséquences mais rester libre d’agir comme elle le souhaite sans risquer d’aller en prison. Si une femme souhaite procréer par GPA, elle doit de même aller au bout de sa démarche et tenir la promesse faite au receveur ou à la receveuse (donc en aucun cas garder l’enfant à naître) mais ne pas avoir à comparaître devant un tribunal pour débattre de la légitimité de son geste.

Flécher un don d’enfant : pourquoi pas ?

Si l’on admet que le don volontaire et involontaire, aboutissant au même résultat, sont tous deux également légitimes, se pose la question de la destination du don. Qui a le droit de décider à qui sera attribué l’enfant ? C’est l’un des points centraux du débat. Pour l’heure, la collectivité s’en charge. Je n’ai pas le droit de donner mon enfant à un passant dans la rue, quand bien même mon ou ma conjointe serait d’accord. L’enfant a le droit d’être protégé, il faut donc que sa mise à disposition du groupe – et éventuellement son adoption future par une autre famille – soit encadrée.

En France, il existe deux statuts de dons médicaux. Le premier échappe à la personne donneuse, qui se dessaisit de tout pouvoir de décision. Le don d’ovocyte, par exemple, est autorisé mais la donneuse n’a pas prise sur ses ovocytes. Elle ne sait même pas combien lui sont prélevés. Le personnel médical fait la sélection en fonction de différents critères et propose aux couples ou aux femmes stériles, en attente d’ovocytes bien portants, celui qui leur conviendrait le mieux.

Le second statut du don d’organe est « fléché ». Dans cette situation, la personne sait et choisit à qui son organe sera donné. C’est notamment le cas du don du rein. Depuis la loi bioéthique de 2011, « le donneur peut également être toute personne pouvant apporter la preuve d’un lien affectif étroit et stable depuis au moins deux ans avec le receveur ». La nature de ce lien affectif peut être plus large que le couple hétérosexuel. Là encore, la loi prévoit déjà qu’un don de nature corporelle soit effectué de manière volontaire et discriminante de la part du ou de la donneuse. La GPA pourrait suivre ce modèle.

Le statut ambivalent du nourrisson

Certes, un bébé n’est pas un rein et la grossesse crée souvent chez la mère un attachement singulier. Il faut toutefois interroger le statut ontologique du fœtus. À qui appartient-il ? Pour la philosophe néerlandaise Elselijn Kingma, directrice du programme d’études Better Understanding the Metaphysics of Pregnancy à l’université de Cambridge, « le fœtus est une partie de l’organisme maternel ». « Beaucoup de mères considèrent d’ailleurs leur enfant comme une “partie” d’elles-mêmes hors d’elles-mêmes », nous expliquait-elle dans cet entretien.

L’enfant à naître est certes incorporé à la mère, mais il reste aussi en partie autonome. D’un point de vue biologique, il se nourrit d’elle tout en vivant une vie à lui. Juridiquement, la mère n’a pas tous les droits sur lui. Socialement, le bébé n’existe qu’à partir du moment où il a été reconnu en mairie, bien qu’il fasse déjà partie de la famille avant d’avoir vu le jour (on lui parle, on le nomme, etc). Peu d’entités sont aussi ambivalentes que celle du nourrisson, ce petit être en devenir qui ne peut déterminer son existence par lui-même.

Deux conclusions émergent. Si l’on considère que l’enfant est, pour ainsi dire, un organe vivant rattaché à la mère, alors celle-ci a la primeur de décider du sort de son bébé, pourquoi pas en fléchant le don : un parent célibataire, un ami homosexuel, une collègue qui a fait une hystérectomie, une femme ménopausée qui souhaiterait, comme un homme, élever un enfant tard dans sa vie. Si l’on considère plutôt que l’enfant est déjà « jeté » dans le monde, et qu’il appartient à la société plus qu’à la mère, alors on peut aussi considérer la GPA comme légitime, puisque cette procédure participe de l’intérêt général.

Ajoutons une précision à ce stade. Pour ce qui est de l’intérêt de l’enfant lui-même, autre argument parfois avancé contre la GPA, les études ne permettent pas d’établir avec clarté s’il existe un avantage ou non dans le fait d’être élevé par d’autres personnes que la mère accoucheuse. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que même une famille hétérosexuelle peut élever un enfant de la pire des manières sans que la société n’ait son mot à dire. Il n’y a donc pas de raison à interdire la GPA au motif de l’incertitude sur l’éducation et la santé mentale future du bébé, sauf à discriminer ouvertement certains types de familles plutôt que d’autres.

La mythologie éculée du don maternel

J’aimerais enfin porter l’attention sur une dimension sémantique du débat. Lorsqu’une femme accouche, on dit qu’elle « donne naissance ». La naissance est déjà considérée comme un don, quelque chose que la femme abandonne de soi et concède à la société – ce que l’on appelle en anthropologie « l’alloparentalité », soit l’éducation collective des enfants. Il me semble que cette conception de l’engendrement comme don initial de la mère rend particulièrement difficile le fait de concevoir que ce premier don puisse se redoubler d’un second, celui de laisser l’enfant à la société. Comme s’il était, au fond, impossible de rajouter du don au don.

Dans son livre Philosophie de l’enfantement (2022), la philosophie Clarisse Picard, qui s’inscrit dans une veine phénoménologique, emploie plusieurs fois ce vocable. « La naissance est un mouvement originaire du naître à soi-même en donnant naissance par différenciation de soi à partir d’un état premier d’indifférenciation », écrit-elle, évoquant « la genèse de soi d’une femme dans l’acte de donner naissance ». « Une mère naît à elle-même en donnant naissance à son enfant. »

Sans doute que cette acception de la maternité est belle et pertinente à bien des égards. Mais elle passe sous silence le fait que certaines mères n’accueillent pas leurs enfants ainsi, dans une sorte de réalisation immédiate de leur condition maternelle. Cette idée rive les femmes à leur statut de mère, comme si celui-ci advenait dès la naissance et non, progressivement, par le contact tactile, vocal, par la pure co-présence avec l’enfant. On ne naît pas mère en donnant naissance, on le devient en élevant un enfant au jour le jour.

Des limites à établir

D’un point de vue féministe, il me semble que choisir d’être enceinte sans avoir à assumer la charge de l’éducation de l’enfant est un droit fondamental des femmes. Si l’on adhère au slogan « Mon corps, mon choix », alors oui, la GPA est bien un droit féministe.

Cette affirmation ne va pas sans conditions, bien entendu. Il s’agit de protéger au maximum les femmes d’éventuelles dérives marchandes, et l’enfant à naître d’éventuels dysfonctionnements. Cela tombe bien, car une « GPA éthique » (ou « altruiste ») est possible, et déjà en place dans certains pays, comme au Portugal, au Royaume-Uni ou au Danemark. Voici quelques pistes de mesures à introduire dans le débat, pour faire de la GPA un choix féministe éclairé, généreux et strictement encadré.

  • Ne pas recevoir de rémunération, ni des parents adoptifs ni des institutions tierces, mais une indemnisation plancher (afin de ne pas créer une industrie de la grossesse). Cette mesure permettrait notamment de réduire le nombre de GPA effectuées à l’étranger (Ukraine, Vietnam, Colombie…), où des milliers de mères porteuses choisissent cette voie rémunératrice, faute d’avoir un emploi ailleurs. Aux États-Unis, par exemple, la rémunération de la mère porteuse est d’au moins 35 000 euros, souvent plus. Au Royaume-Uni, elle est réglementée entre 10 et 15 000 euros.

  • Ne pas autoriser plus de deux grossesses altruistes (pour éviter de trop exclure la femme du marché du travail et préserver sa santé).

  • Proposer le choix entre une GPA fléchée et non fléchée, c’est-à-dire garder la possibilité de décider ou non de la destination de l’enfant (sur le modèle de la Fondation de France).

  • Ne pas être la donneuse de l’ovocyte, afin de découpler la fécondation de la gestation (pour que l’enfant et le ou les parents ne considère pas la mère porteuse comme un parent légitime).

 

Nous sommes à un moment charnière de l’histoire de l’humanité. Comme le souligne la philosophe Camille Froideveaux-Metterie dans La Révolution du féminin (2020), nous sommes entrés dans une « révolution procréative », du moins en Occident, où la question de l’enfant se pose comme jamais. Vouloir des enfants est un « pouvoir nouveau ». « La rupture est de taille, qui en termine avec l’association immémoriale entre famille et procréation, laquelle reposait sur la fonction de reproduction biologique et culturelle assignée à cette institution. Faire des enfants aujourd’hui, ce n’est plus souscrire à l’obligation de renouveler les générations, c’est tout simplement le faire pour soi. » 

Avec la GPA, c’est finalement le grand paradoxe du don qui éclate au grand jour : agir pour soi et agir pour un autre, parfois, sont une seule et même chose. 

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