Une préhistoire du patriarcat
Chercher dans l’histoire de nos lointains ancêtres des explications sur nos structures sociales actuelles, et notamment sur la “domination masculine”, telle est l’une des tâches fascinantes de la paléoanthropologie contemporaine. Pourquoi les Sapiens masculins détiennent-ils les fonctions de pouvoir ? D’où vient la violence envers les femmes ? Ces faits remontent-ils à la nuit des temps, ou les hommes sont-ils devenus des “oppresseurs misogynes” ? Deux livres sur la question, l’un de Pascal Picq et l’autre de Marylène Patou-Mathis, tentent de démêler le vrai du faux dans ces débats. Voici ce qu’il faut en retenir, en six grandes questions.
Sapiens est-il le seul singe machiste ?
Petit rappel pour commencer, l’être humain est un singe. Peu poilu et très intelligent, certes, mais un singe quand même. L’espèce humaine a pour plus proches parents les gorilles, les chimpanzés et les bonobos, avec qui elle partage un « dernier ancêtre commun » qui aurait vécu il y a six ou sept millions d’années. Ces animaux sont-ils de fieffés machistes – auquel cas, la violence masculine aurait, au moins pour partie, une origine biologique ? C’est la question centrale du dernier livre de Pascal Picq, Et l’évolution créa la femme (Odile Jacob, 2020), qui propose une approche « phylogénétique » (c’est-à-dire concernant les liens de parenté entre être vivants), de la domination masculine.
Les singes vivent selon une grande variété de modèles sociaux. Chez les lémuriens, ce sont les femelles qui dominent. À l’inverse, les hamadryas sont de vrais tortionnaires, pratiquant « capture de femelles, gardiennage, menaces fréquentes, punitions et agressions parfois très violentes ». Plus près de nous, les chimpanzés ont des comportements machistes tandis que les bonobos évoluent dans un matriarcat. Ces deux espèces voisines de Sapiens incarnent ainsi deux types d’organisation de pouvoir opposés, de sorte qu’il est impossible d’en déduire quoi que ce soit sur notre ancêtre commun : « L’exception bonobo n’interdit pas d’imaginer qu’il ait existé des sociétés préhistoriques matrilocales, matrilinéaires et matriarcales à différentes époques, note Pascal Picq. Seulement, nous n’en avons aucune preuve. »
“Les chimpanzés ont des comportements machistes tandis que les bonobos évoluent dans un matriarcat. […] Il est impossible d’en déduire quoi que ce soit sur notre ancêtre commun”
Un autre enseignement du livre concerne le rôle de la parenté dans les rapports femelles-mâles. « Plus l’investissement parental est asymétrique et s’appuie sur les femelles, comme c’est le cas chez les mammifères avec la gestation, l’allaitement et la protection [du petit], plus celles-ci deviennent un enjeu de contrôle pour les mâles », relève Pascal Picq. Les femelles ont besoin des autres membres du groupe pour élever leurs bébés. Chez la plupart des singes, elles restent toute leur vie dans leur groupe natal, que les mâles quittent à l’adolescence, ce qui facilite l’entraide (on parle de sociétés matrilocales). Or, les humains, les chimpanzés et les bonobos vivent, eux, dans des sociétés patrilocales : les femelles « déménagent » chez les mâles. Alors que les contraintes de la reproduction exigent de l’entraide envers les femmes, elles ont dans ce cas plus de mal à en bénéficier. Reste à savoir pourquoi cette exogamie, qui fragilise la position des femelles au sein du groupe, est née chez ces espèces.
Existait-il un matriarcat originel ?
C’est l’un des grands débats de ces dernières années à propos de la préhistoire. Les sociétés humaines ont-elles été originairement matriarcales, avant de devenir patriarcales ? En 2019, l’anthropologue allemande Heide Goettner-Abendroth a relancé le débat en publiant Les Sociétés matriarcales. Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde (trad. C. Chaplain, Des Femmes, 2019). Sa thèse a été critiquée par d’autres spécialistes, et de façon anticipée par Alain Testart, qui contestait notamment l’idée d’une « Déesse mère » originelle révérée par les sociétés humaines à travers le monde, dans son livre La Déesse et le grain (2010). Mais le débat reste ouvert et l’apport de l’archéologie féministe toujours précieux, notamment dans la compréhension de ces sociétés matriarcales, peu étudiées au cours de l’histoire.
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