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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Trois âges de la vie. © Meyer/Tendance Floue

Divergences

Une retraite heureuse est-elle possible ?

Samuel Lacroix publié le 29 septembre 2022 6 min

La réforme des retraites se réinvite dans le débat public. La mesure est rejetée par une majorité de Français, qui ne souhaitent pas travailler plus longtemps et entendent pouvoir profiter de la retraite. Mais en profite-t-on réellement ? Et si oui, comment ? Les réponses des philosophes.

 

Oui, car elle est le temps (mérité) du repos

Diderot et d’Alembert

Après une vie éreintante de labeur, la retraite est comme un salut. J’ai beaucoup donné à la société, maintenant que j’arrive sur mes vieux jours, il est normal que celle-ci m’octroie un repos bien mérité. Même si mon travail me plaisait, continuer serait de toute façon une souffrance dans la mesure où le grand âge ne me permet pas de poursuivre plus avant. C’est le sens d’une disposition telle que la retraite, formulée dans l’article « Pensions et retraite » tiré de l’édition de 1791 du supplément finances de l’Encyclopédie méthodique de Diderot et d’Alembert : « Demander sa retraite se dit d’un employé qui, après avoir rempli les fonctions attachées à son titre pendant un long espace de temps, désire jouir du calme de l’esprit et du repos du corps, qui sont nécessaires quand la vieillesse commence à appesantir toutes les facultés. »

 

Oui, car on y agit avec davantage de sérénité

Cicéron

Même si les affres de la vieillesse n’offrent plus le loisir de faire un certain nombre de tâches demandant de l’énergie, les retraités ont la possibilité de continuer d’agir dans le monde, et de le faire avec plus de clairvoyance qu’auparavant. On sait un peu moins faire mais un peu plus comment faire, si bien que l’on peut à tout le moins éclairer les jeunes gens sur la direction de leurs actions, et en tirer un certain contentement. Loin d’être un retrait total du monde, la retraite permet aux « seniors » d’exercer leur sagesse. C’est ce qu’expliquait au premier siècle avant notre ère Cicéron dans son traité De la vieillesse : « Ceux qui affirment que la vieillesse se vit loin des affaires ne font pas progresser la question. Ils parlent comme ceux qui prétendent que le pilote n’a rien à faire au cours de la traversée : alors que d’aucuns grimpent aux mâts, que d’autres s’affairent çà et là sur le pont, et que d’autres encore écopent la sentine, le pilote, serein, tient la barre assis à la poupe. La vieillesse ne permet pas de faire ce que font les jeunes gens, mais elle fait tant et mieux : ce ne sont pas la force, la vélocité ou l’agilité physique qui font accomplir les exploits, mais la prudence, l’autorité et les avis éclairés. Or, loin que la vieillesse soit dépourvue de ces qualités, elle les favorise. »

 

Oui, car c’est le seul moment où l’on a le droit d’être heureux

Charles Péguy

À l’époque moderne, l’on considère généralement que nous devons beaucoup travailler durant notre jeunesse pour pouvoir ensuite jouir, une fois à la retraite. Nous pensons à nos vieux jours et, les yeux tout tournés vers la tranquillité à venir, nous amassons de l’argent par des travaux que nous accomplissons mécaniquement. Nous acceptons donc une servitude présente dans l’espoir d’une récompense future. Une idée qu’exprime éloquemment Charles Péguy dans sa Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne (1914) : « Pour avoir la paix demain (et la paix ne s’obtient que par l’argent), on aliène, on vend sa liberté aujourd’hui […]. Pour avoir la paix sur ses vieux jours, aujourd’hui on n’est pas un homme libre. » Tant et si bien, explique-t-il, qu’on pourrait aller jusqu’à dire : « Comme le chrétien se prépare à la mort, le moderne se prépare à cette retraite ». Tout fait signe vers cet horizon ultime, celui d’une délivrance sécularisée.

 

Non, car elle est le temps des désillusions et de la solitude

François de La Rochefoucauld

Lorsqu’on arrive à la retraite, on a accumulé suffisamment d’expérience pour être au fait de la vanité de bien des choses. On pourrait se dire qu’on va pouvoir profiter de nos instants libérés pour prendre du bon temps avec nos proches et nos amis. Mais dans les faits, plus nous vieillissons et plus, lucides sur le monde, nous tendons à nous replier sur nous-mêmes et à fuir le tumulte du dehors. C’est l’idée exprimée par le moraliste La Rochefoucauld dans son texte sur la retraite, lorsqu’il évoque « les raisons naturelles qui portent les vieilles gens à se retirer du commerce du monde : le changement de leur humeur, de leur figure, et l’affaiblissement des organes, les conduisent insensiblement, comme la plupart des autres animaux, à s’éloigner de la fréquentation de leurs semblables » (Réflexions diverses, 1665). C’est « l’expérience » accumulée, postule La Rochefoucauld, qui leur fait mieux entrevoir la fatuité du monde que durant leur jeunesse, jusqu’à les rendre « insensibles à l’amitié, non seulement parce qu’ils n’en ont peut-être jamais trouvé de véritable, mais parce qu’ils ont vu mourir un grand nombre de leurs amis qui n’avaient pas encore eu le temps ni les occasions de manquer à l’amitié ».

 

Non, car les retraités sont trop pauvres

Simone de Beauvoir

Tant que nous sommes productifs par notre travail, la société capitaliste nous laisse à peu près de quoi vivre. Mais une fois parvenus à l’âge de la retraite, nous ne servons plus, et l’on nous le fait sentir en nous maintenant dans un niveau de vie terriblement bas. Ainsi, alors qu’on nous laisse accroire que le temps de la retraite est celui du repos et du loisir, dans les faits, nous n’avons les moyens matériels et financiers ni de l’un ni de l’autre, pris que nous sommes dans la misère et la précarité. Une idée forte et toujours d’une criante actualité exprimée dès 1970 par Simone de Beauvoir dans La Vieillesse : « L’économie, détaille-t-elle, est basée sur le profit, c’est à lui pratiquement que toute la civilisation est subordonnée : on ne s’intéresse au matériel humain que dans la mesure où il rapporte. Ensuite, on le jette. » Ainsi, « la société impose à l’immense majorité des vieillards un niveau de vie si misérable que l’expression “vieux et pauvre” constitue presque un pléonasme ; inversement : la plupart des indigents sont des vieillards ». Cruelle réalité, « échec de notre civilisation », que celle qui fait du vieux un « pur déchet ».

 

Non, car on s’y abrutit au lieu de faire valoir nos compétences

Pascal Bruckner

Non seulement, quand on atteint un certain âge, on peut être « mis » à la retraite contre notre gré, alors que nous aimerions continuer de travailler, mais en plus, on n’emploie généralement pas le temps qui nous est laissé correctement. Après avoir travaillé durant quarante ans, on peut fort bien se retrouver avec un fort sentiment de vertige face au vide qui s’impose à nous, et nous allons comme chercher à fuir cette impression en nous abrutissant devant la télévision au lieu de nous lancer dans des activités enrichissantes. C’est le point de vue que développe Pascal Bruckner dans Une brève éternité. Philosophie de la longévité (Grasset, 2019) : « La fin obligatoire du travail à partir de la soixantaine, modulée différemment selon les métiers, nous plonge dans la malédiction du loisir absolu érigé en mode de vie comme si des populations entières de têtes blanches étaient plongées à nouveau dans l’univers infantile du parc d’attractions. Ce temps libre n’est, le plus souvent, pas utilisé pour se cultiver mais pour s’hypnotiser face aux écrans qui se taillent la part du lion. » Une réalité d’autant plus dommageable, aux yeux de Bruckner, que nos talents et nos compétences sont mises en sommeil alors qu’elles pourraient continuer de servir : « Les jeunes et les seniors n’ont pas les mêmes compétences et celles-ci peuvent se compléter au lieu de s’annuler », tient-il à rappeler, comme ces entreprises qui valorisent l’apprentissage intergénérationnel.

 

Pascal Bruckner rejoint ici Cicéron : la retraite peut être heureuse… à condition d’avoir les moyens de la rendre intéressante.

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