Adichats ! (Adieu !)
Une recension de Catherine Portevin, publié le« Aux anciens forgerons, grutiers, mariniers de la drague, morts ou vivants, salut et respect. » Signé : « leur vieux compagnon, Michel. » L’ultime adichats (« adieu » en occitan) de Michel Serres est dédié à une fraternité originelle, celle dans laquelle il a grandi sur les bords de Garonne. Son père et son frère étaient dragueurs du fleuve, lui-même exerça le métier avant de partir pour une autre destinée. On lit dans cet ouvrage posthume à quel point il a porté cette fraternité en lui toute sa vie. « Mon corps paysan, mes mains de casseur de cailloux, mes pieds mariniers ne me laissèrent jamais », écrit le philosophe. Après avoir parcouru le monde et écrit des dizaines de livres, il suffisait d’un « adichats » lancé par le patron d’un restaurant béarnais à Paris pour le faire pleurer.
Les textes rassemblés ici par son amie et éditrice Sophie Bancquart ont été écrits au fil de la plume, au fil de sa pensée, de ses souvenirs et de ses rêveries, entre 2001 et jusqu’à sa mort, il y a tout juste un an. Gardant l’élan de la première inspiration, ils n’en sont que plus limpides, et c’est un plaisir d’entendre intacte la voix du philosophe. Elle dit tout ce que sa philosophie doit au fleuve, aux siens, à la langue de Gascogne, à son accent, aux salopettes de travail et au cambouis sur les mains, à l’agriculture et à la terre, à la mer et à la passion pour la musique aussi. À partir d’un paysage, de haies, chemins, fossés, il repense la géométrie, l’espace, la connaissance. Voir par le détail, par l’expérience, à taille d’homme, et comprendre par le haut, le global, le concept : entre la chaîne de l’arpenteur et la photo satellite, Garonne et l’univers, Michel Serres a voulu tout embrasser. On retrouve dans beaucoup de ces textes les allers-retours permanents chez lui entre le très loin, le mythique, l’abstrait, l’universel, et puis le très proche, le présent, le concret, le singulier.
Au détour d’une page se trouve aussi un court récit intitulé « Frère aimé ». Une scène de métamorphose, originelle, elle aussi : Michel Serres était, raconte-t-il, un enfant plein de fureur et de colère. Un jour, en se battant avec son frère, celui-ci roule en bas de l’escalier où il reste inerte, faisant le mort. Affolé, Michel se voit comme Caïn ayant tué Abel et se jure de ne plus jamais céder à la violence et de refuser toute sa vie de combattre. « J’ai tenu parole, conclut-il, portant toujours en moi l’âme de Caïn, l’assassin. » Tout de même, il se sera bien battu pour la vie.
Paraît également Michel Serres. Hommage à 50 voix (Le Pommier, 224 p., 17 €). Nos collaborateurs Martin Legros et Sven Ortoli y saluent « l’homme du possible ».
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