Etre, essence et substance chez Platon et Aristote : Cours professé à l'université de Strasbourg en 1953-1954

Une recension de Nicolas Tenaillon, publié le

01_L’origine de l’être

Le projet de Ricœur est de suivre Platon et Aristote dans l’élaboration de leur science de l’être (ou ontologie). Le monde est, les choses sont, il y a de l’être. Mais comment le définir ? Platon part du langage : demander « qu’est-ce que… ? », c’est d’abord demander « qu’appelle-t-on… ? ». Sa réflexion va des mots aux essences. Aristote, pour sa part, interroge le monde, les individus qui le composent, et se demande d’où vient leur réalité sensible. Sa doctrine de l’être commence par une interrogation sur la nature. Elle établit que la matière est un substrat et que, par la forme, elle devient substance. La tradition opposera ces deux approches, en faisant de Platon un penseur de l’essence et d’Aristote, un philosophe de la substance.

 

02_Un grand pédagogue

Esprit rigoureux, Ricœur précise les arguments de ce débat qui a inauguré la tradition métaphysique occidentale. Conscient de la difficulté du sujet, il sait distraire son auditoire lorsqu’il affirme que « l’héraclitéisme est pour Platon la philosophie du “nez-qui-coule”, une philosophie morveuse » ! Mais la force pédagogique du cours vient surtout de la justesse des questions posées : « En quoi l’essence est-elle fondement du mot chez Platon ? », « Jusqu’à quel point la forme aristotélicienne individualise-t-elle la réalité ? » Chaque question relance l’enquête, surmonte ou repère de nouveaux problèmes. Les œuvres fondatrices de la métaphysique sont ainsi patiemment clarifiées.

 

03_Vers le divin

Si le point de départ dans l’élaboration d’une science de l’être diffère chez nos deux auteurs, Ricœur montre que l’orientation de leur recherche est convergente, tournée vers le divin. La science de l’être finit par « se recharger de sacré ». Chez Aristote, par exemple, la philosophie a successivement pour objet la cause, l’être puis la substance et enfin le divin. Mais cette direction commune ne rend que plus manifeste ce qui sépare les deux métaphysiciens : alors que pour Platon, ce sont les Idées qui finalement assument la fonction religieuse, ce qui joue ce rôle pour Aristote, c’est « la substance séparée ». Celle-ci est comprise tantôt comme « premier Moteur immobile » (l’être divin met en mouvement l’univers sans être mû lui-même) ; tantôt comme « Acte pur » (l’être divin ne rencontre aucune résistance de la matière). Qu’elle soit platonicienne ou aristotélicienne, l’ontologie se trouve donc affectée d’un « indice religieux ». L’histoire de la métaphysique occidentale est ainsi prédestinée à chercher Dieu dans l’être. Ricœur révèle, par ce cours, les deux centres d’intérêt qui animeront toute son œuvre : la philosophie et la théologie.

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