Flou. Une histoire photographique 

À l’œil nu, le monde visible comporte toujours des zones de flou. Pourtant, plus une image est nette, plus elle nous semble fidèle alors même qu’elle s’éloigne de notre vision naturelle. Le flou hérite de cette ambivalence : en peinture comme en photographie, tantôt il accentue l’effet de réalité – en rapprochant l’image de notre perception immédiate –, tantôt il confère à la toile ou au cliché la dimension irréelle et rêveuse qui lui manquait. Riche de centaines d’illustrations, depuis la peinture du XIX^e siècle jusqu’à la photographie contemporaine, cet ouvrage fait éclore de troublantes questions. Une reproduction peut-elle être absolument fidèle ? En quoi une image est-elle juste ? Ne l’est-elle pas d’autant plus qu’elle intègre une part flottante de subjectivité ? La réponse se trouve dans les œuvres, depuis les paysages bucoliques de Charles-François Daubigny (1859) jusqu’à la série photographique « Jpeg » de Thomas Ruff (2007), en passant par l’hypnotique Luisa Casati de Man Ray (1922) ou par des clichés d’amateurs. Une photographie anonyme « ratée » n’y est pas moins stimulante qu’une œuvre d’avant-garde.

À travers ces incursions richement documentées, le flou reste une énigme : il apparaît comme une « part maudite », une dimension du visible que nous nous interdisons de capter et de contempler. Assignées aux fonctions et aux tâches, nos existences exigent un monde aux contours nets. S’en écarter, c’est prendre le risque de se perdre. Le brouillard sensoriel est un luxe dangereux. En peinture ou en photographie, il n’apparaît que de façon fugace, comme un éden dérobé.