Histoire de l'idée de temps. Cours au Collège de France 1902-1903

Une recension de Mathilde Lequin, publié le

1. Sortir de l’éternité

Les systèmes philosophiques les plus complexes partent parfois d’idées simples, remarque Bergson. Ainsi, toute la philosophie antique s’est développée à partir d’une hypothèse à première vue innocente, consistant à concevoir le mouvement comme une succession de points immobiles dans l’espace. Or, si le mouvement est fait d’immobilité, nous voilà face à de redoutables difficultés : comment passer de l’immuable au mouvement, et donc de l’éternité au temps ? En concevant le temps comme « l’image mobile de l’éternité », Platon reste prisonnier de ce problème. Et si Aristote ne se prive pas de le critiquer, il échoue à son tour à faire sortir le temps de l’éternité. Car comment penser le devenir tant que penser consiste à immobiliser ?

 

2. La modernité ou l’invention de la durée

Selon Bergson, la notion de durée pointe son nez avec la révolution scientifique du XVIIe siècle : en cherchant à définir la vitesse et l’accélération d’objets mobiles, Galilée découvre « l’intériorité du mouvement ». Il invente ainsi un temps mathématique, conçu comme l’étoffe même de la réalité. À la même époque, Descartes fait d’une expérience temporelle le point de départ de toute sa philosophie : l’expérience du doute méthodique le conduit à « chercher la racine de l’être […] dans la durée ». Il intronise ainsi l’idée de temps en philosophie… mais la laisse s’échapper : en concevant le temps comme une succession de moments séparés, Descartes réintroduit la discontinuité dans la durée. Et doit à nouveau adosser le temps à l’éternité…

 

3. À la recherche du temps perdu

S’il est si difficile de se représenter le temps, c’est qu’il faut pour cela « remonter la pente habituelle du travail de la pensée », qui nous pousse à immobiliser la réalité à travers des concepts. C’est précisément pour remonter cette pente et tenter de ressaisir la durée dans sa continuité que Bergson remonte l’histoire philosophique de l’idée de temps. En y découvrant qu’« il n’y a aucun moyen de passer du concept au temps », il acquiert la conviction qu’il faut donc partir du temps, tel qu’il est vécu par la conscience, pour toucher du doigt son concept. Ce projet ambitieux, qui suppose d’explorer la vie psychologique mais aussi l’évolution biologique et la durée de la matière, sera celui de L’Évolution créatrice, chef-d’œuvre de Bergson publié en 1907.

 

 

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