Histoire du repos
Une recension de Philippe Garnier, publié le« Au septième jour, Dieu se reposa… » lit-on dans la Genèse. Si Dieu suspend son activité créatrice, est-ce parce qu’il est fatigué ? Cette fatigue traduit-elle une imperfection ? De façon plus terrestre et quotidienne, le repos est apparu au fil des siècles comme une notion ambivalente : relève-t-il d’une faiblesse et d’une déchéance ? Ou apporte-t-il une jouissance autonome et souveraine ? Historien des représentations et de la vie sensorielle, Alain Corbin saisit les tensions inhérentes à cet état très ordinaire.
Ainsi, à l’âge classique, le repos est signe de finitude. Dans le Sermon sur la mort (1662) de Bossuet, il est la tentation qui guette le mortel, qui le détourne de la quête du salut. Mais rien n’est simple, car la mystique chrétienne l’associe aussi à un état de grâce célébré par François de Sales ou Thérèse d’Avila. Au fil des siècles, les paradoxes s’accumulent. Si la mort est un « repos en Dieu » et si l’éloignement des affaires du monde peut rapprocher du salut, l’oisiveté forcée, en particulier celle de la vieillesse – notre « retraite » –, n’est parée d’aucun prestige. Seul Montaigne en fait le temps d’un « contentement en soi-même », tandis que Rousseau, dans Les Rêveries du promeneur solitaire, donne une épaisseur enchantée aux instants d’inaction.
Avec le monde industriel et le culte de l’effort productif, le repos prend un sens différent. Il s’oppose à la fatigue plus qu’à l’agitation. La notion de détente nécessaire se substitue à celle de quiétude. Dans les classes possédantes, on passe du prie-Dieu à la chaise longue en quelques décennies. Dans le monde ouvrier, face aux machines qui ne s’arrêtent jamais, la main-d’œuvre doit reprendre des forces. Selon Marx, le repos est alors « incorporé au procès même de la production ». Aux yeux d’Alain Corbin, il en résulte un certain désenchantement théorique : « La fatigue, le surmenage et leurs conséquences sur l’état cérébral, ont en quelque sorte asséché, aplani, simplifié l’histoire du repos. » On peut regretter que ce court livre érudit ne s’aventure pas plus loin dans ce qui, aujourd’hui, relève du fonctionnement ininterrompu du cerveau face aux écrans. Dans cette annexion ultime, le temps de loisir alimente désormais, aux dépens du sommeil et d’une authentique paresse, la fièvre du marché numérique.
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