Travail et paresse : un match vieux comme la gauche

La question de la place du travail au sein des mouvements progressistes fait débat depuis longtemps. Au XIX^e siècle déjà, semble s’opposer une branche valorisant, voire héroïsant le travail tout en fustigeant la paresse et l’oisiveté, et une autre dénonçant au contraire une certaine « fétichisation » du travail par le mouvement ouvrier. « L’oisif ira loger ailleurs », trouve-t-on dans le cinquième couplet de L’Internationale, quand Paul Lafargue pointe de son côté la « folie » que constitue « l’amour du travail » chez les « classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste » dans son bien nommé Droit à la paresse (1880). Des débats qui ont en grande partie lieu dans le sillage du marxisme, Fabien Roussel citant aujourd’hui encore volontiers l’auteur du Capital à l’appui de sa tribune contre une Sandrine Rousseau paraphrasant son gendre, Lafargue.

Oui, le travail salarié est une souffrance…

De fait, c’est bien Karl Marx qui formule la critique la plus complète du travail salarié en régime capitaliste, comme le lieu de l’aliénation de travailleurs exploités. Dans les sociétés modernes, explique-t-il, le travail salarié est l’institution par laquelle les détenteurs des moyens de production (usines, fabriques, machines…), les bourgeois, exploitent ceux qui en sont privés, les prolétaires. Ces derniers sont contraints de vendre leur force de travail aux premiers en échange d’un salaire leur permettant de vivre. Un rapport de forces démesurément favorable à l’employeur, de qui dépend l’ouvrier qui a besoin de travailler : « l’un a aux lèvres le sourire des gens importants et brûle d’ardeur affairiste, l’autre est craintif, rétif comme quelqu’un qui a porté sa propre peau au marché et qui, maintenant, n’a plus rien à attendre… que le tannage », décrit crûment le penseur à la barbe (Le Capital, 1867).

Les conditions dans lesquelles travaillent ces prolétaires qui se vendent sont difficiles. Dans un contexte de travail industriel, à la chaîne, l’ouvrier se voit contraint d’effectuer des tâches répétitives et abrutissantes, tant et si bien qu’il en vient rapidement à ne plus saisir le sens réel de ce qu’il fait et, composant de concert avec des machines sophistiquées, à ne plus se reconnaître dans le produit de son labeur voué à devenir une marchandise (« aliénation » est issu du latin alienus qui signifie « autre »). De surcroît, le capitaliste dépossède la valeur créée par le travail du salarié, celui-ci ne touchant qu’un faible revenu de la vente de ses produits, dont la plus large part est accaparée par l’employeur sous forme de « profit » ou de « plus-value ». C’est ici que réside proprement l’exploitation

« Le travail a créé l’homme lui-même »