La Fin de l'homme rouge

Une recension de Michel Eltchaninoff, publié le

Durant soixante-dix ans, l’Union soviétique a fait fantasmer et trembler le monde. Mais sa mort n’a été suivie d’aucunes obsèques. Du coup, ce pays conceptuel hante toujours ceux qui ont grandi en son sein et l’ont vu disparaître. La journaliste et écrivain biélorusse Svetlana Alexievitch partage les codes de ceux qui ont vécu, coupés du monde, dans le rêve sacrificiel de leur propre gloire. Elle nous invite à un saisissant voyage dans ce socialisme intime. À travers des témoignages couvrant vingt ans de post-communisme, du putsch manqué de 1991 aux attentats-suicides d’aujourd’hui, en passant par les guerres qui ont suivi le démantèlement de l’URSS, le secret de l’« Homo sovieticus » émerge, à la première personne. Ces idéalistes ont souvent offert leur vie à la construction du socialisme. Beaucoup ont été envoyés dans les camps pour une histoire drôle imprudente. Ils ont vu leur famille décimée, sans cesser d’idolâtrer le Guide. D’autres ont dénoncé leurs camarades, leurs proches. Et il y a ceux qui ont participé à des assassinats de masse. Puis, dans les années 1990, ils ont découvert la puissance de l’argent et l’impuissance des paroles dont ils s’enivraient naguère. On leur a dit que leurs efforts avaient été vains, qu’ils avaient souffert et fait souffrir pour rien. Ce retournement les a laissés humiliés et moralement démunis. Svetlana Alexievitch, restitue leur humanité déchirée. Avec une force et une subtilité rarement égalée, elle dévoile la réalité vécue du fantasme totalitaire. À la manière de Tchekhov, elle ne dissimule rien de ces noirceurs, mais ne juge pas. C’est un grand livre.

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