La Gauche contre les Lumières ?

Une recension de Catherine Portevin, publié le

Deux ouvrages entendent « réarmer » la gauche contre les radicalités de son propre camp. La journaliste Caroline Fourest attaque « la gauche identitaire » selon un angle étroit : le procès de l’« appropriation culturelle » par lequel tout emprunt à « la culture d’un autre sans sa permission » devient « offensant » si cette culture est ou a été dominée. Des groupuscules demandent ainsi la suppression de cours de yoga sur un campus au Canada pour ne pas « s’approprier la culture indienne », empêchent des spectacles sur les violences de la ségrégation ou du colonialisme au motif que les artistes sont blancs… La notion fait florès aux États-Unis dans les mouvements post-coloniaux, antiracistes et féministes, et devient une « police de la pensée ». « On apprend à fuir l’altérité et le débat », estime Fourest, et à valider l’idée d’identités fixes – la constante de la pensée conservatrice. La cause est nette : appeler les « universalistes » à avoir « le courage de résister » ; la désignation des ennemis n’évite pas le flou et l’amalgame – la puissance réelle de cette « morale identitaire » dans l’Université française reste à documenter...

Stéphanie Roza offre un argumentaire plus solide pour une ambition plus large. Membre de la Fondation Jean-Jaurès, think-tank proche du Parti socialiste, la philosophe tente une généalogie intellectuelle de la pensée anti-Lumières à gauche. Les ambivalences des Lumières justifient-elles de rejeter leur héritage comme étant la matrice de la barbarie ? Le procès a la vie dure. Roza le résume autour de trois principes remis en cause aujourd’hui : le rationalisme, le progressisme et l’universalisme – sur ce dernier point, elle rejoint Fourest. Elle discerne des filiations : de la sensibilité réactionnaire des romantiques à la critique de la raison par Michel Foucault, de Georges Sorel au début du XXe siècle, passé du marxisme à l’Action française, au conservatisme de Jean-Claude Michéa, de la critique des droits de l’homme au féminisme « intersectionnel » de Kimberlé Crenshaw… La démonstration s’achève sur un appel au socialisme de Jaurès, qui, aux yeux de l’autrice, permet de réconcilier lutte des classes, féminisme et antiracisme.

Face aux nationalismes d’extrême droite et aux inégalités sociales, la guerre des idées à gauche est ouverte.

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