Stephanie Posthumus : Michel Serres et le "contrat naturel"
Il y a trente ans, Michel Serres jetait les bases d’une communauté de la nature et des hommes : un « contrat naturel » à l’échelle de la planète. Spécialiste canadienne de l’écocritique, Stephanie Posthumus évoque l’écho de la pensée de Serres outre-Atlantique. Et souligne à quel point le style et la pensée sont imbriqués dans l’expression de son projet planétaire, fruit d’un humanisme où l’homme n’est plus au centre du monde.
Quelle position Michel Serres occupe-t-il dans la pensée écologique outre-Atlantique ?
Stephanie Posthumus – Sa pensée écologique demeure cantonnée dans les départements de littérature, en raison de son style très poétique. C’est d’ailleurs paradoxal puisque les écologistes nord-américains sont en quête de nouvelles manières de vivre plus respectueuses de l’environnement, d’un programme politique « vert » et d’une nouvelle éthique de la nature : tout ce que l’on trouve dans son éco-philosophie ! On peut espérer que la traduction de ses œuvres plus récentes va permettre aux lecteurs nord-américains de découvrir l’énorme potentiel de son « contrat naturel ».
L’écocritique anglo-saxonne pense l’environnement sur le modèle d’une nature sauvage à préserver. En quoi la pensée de Michel Serres marque-t-elle une rupture par rapport à ce courant ?
Si sa pensée est très attentive au monde non-humain, il n’appréhende pas le rapport entre nature et culture comme une relation d’opposition mais de réciprocité. Son point de vue n’a donc jamais été celui d’une préservation du caractère vierge de la nature. Il voit plutôt celle-ci comme un ensemble de relations sujets-objets pris dans un changement perpétuel. Serres a joué un rôle décisif dans la naissance de l’écocritique française.
"Serres se fonde sur la tradition des Lumières, mais il rejette leur idéal de domination de la nature"
Bien avant l’invention du terme d’Anthropocène, il a très clairement mis en évidence les conséquences engendrées par une nouvelle relation entre l’humanité et la planète Terre : « Il y va de la Terre, dans sa totalité, comme des hommes dans leur ensemble. L’histoire globale entre dans la nature ; la nature globale entre dans l’histoire : voilà de l’inédit en philosophie. » 1 Enfin, Serres introduit dans l’écocritique une forme d’humanisme non-anthropocentrique. Certes, il se fonde sur la tradition des Lumières, mais il rejette leur idéal de domination de la nature. Serres est donc un humaniste, au vrai sens du mot : il a largement puisé dans les sciences et les arts, mais son érudition place la Terre au cœur de ses préoccupations.
À la fin du XXe siècle, Michel Serres prend la mesure d’un événement métaphysique sans précédent : le passage à l’Anthropocène. Bombe atomique, déchets nucléaires, industrie polluante, exploitation intensive des ressources……
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