La Gloire du rap

Une recension de Stefania Gherca, publié le

Né dans les ghettos new-yorkais au milieu des années 1970, incarné par Grandmaster Flash et d’autres, le rap, genre musical aujourd’hui largement plébiscité, ne peut être séparé des changements culturels qui ont accompagné son avènement. Bénédicte Delorme-Montini souligne ainsi comment, à la fin des Trente Glorieuses, la « révolution de 1975 » a rejeté « l’État comme guide averti de la collectivité » et a favorisé « l’expression culturelle du dominé, social et ethnique ». C’est ce tournant qui a, selon elle, rendu possible une « désoccidentalisation et une dénationalisation des références », initiées par les mouvements rock, punk et reggae. À travers une comparaison socio-politique entre les États-Unis et la France, l’autrice analyse le nouveau lexique spécifique à ce genre musical, ainsi que les nouvelles règles du « rap game ». Mais par-delà cette archéologie culturelle, elle prend le risque d’accumuler quelques raccourcis sur la scène contemporaine qui traduisent ouvertement sa nostalgie du rap des origines, plus politique et vivant à ses yeux et à ses oreilles. Le pouvoir rhétorique du rap fondateur transposait « la violence des combats de gangs sur les terrains de la revendication politique ». Or il serait maintenant « débarrassé de la politique et envahi par le sexe ». C’est ainsi que les rappeuses ont droit à leur chapitre, mais uniquement pour réprouver leurs clips explicites. Avant, selon l’autrice, les mots avaient un sens, alors qu’ils seraient désormais « susceptibles de n’avoir été choisis que pour leur sonorité ». Pire, le rap esquisse, à ses yeux, « une histoire entièrement à charge contre la Nation » et met en danger la « conception universaliste de la culture légitime ». Il est la fin du « critère artistique objectif » et de l’« art porteur d’un sens commun ». Bénédicte Delorme-Montini considère donc que l’étude de ces textes dans un contexte académique est une absurdité, puisque les rappeurs légitiment « le toujours plus bas corporel de la débauche en évacuant tout ce qui relève de l’intellect ». Si le rap échappe à une « définition », elle en donne la sienne, pour le coup discutable : un danger pour le vivre-ensemble.

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