La leçon de comédie

Une recension de Juliette Cerf, publié le

Un vieil homme, perfide, lance à son fils : « J’essaierai de mourir au mois d’août, comme ça, tu pourras venir à mon enterrement. » Ainsi débute La Petite Chambre, film de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond (en salles le 16 février). L’homme n’attendra pas l’été pour s’éteindre. Le froid des montagnes sera son tombeau. À quoi pensait Michel Bouquet en interprétant ce rôle funèbre ? À sa propre mort ? À la vitalité de son jeu ? Ma curiosité fut assouvie par la lecture de sa Leçon de comédie, passionnant livre en forme d’entretiens avec Jean-Jacques Vincensini. Né en 1925, l’immense Michel Bouquet, en dialoguant notamment avec Diderot, y retrace son parcours de comédien : « Sans la vocation, le métier d’acteur serait insupportable. […] Comment, sans elle, admettre le déchirement qui s’opère lorsqu’il faut quitter un personnage longtemps chéri ? » Ses personnages chéris furent autant l’Avare de Molière, le Roi qui se meurt de Ionesco ou des amoureux meurtriers chez Chabrol : « Au théâtre, l’acteur est un interprète tandis que, au cinéma, tout est fait pour qu’il soit confondu avec le personnage », précise-t-il. Michel Bouquet revient aussi sur quelques rencontres fondatrices, comme Jean Grémillon ou Jean Anouilh. C’est Albert Camus, apprend-on, qui modela son sens de la fraternité et sa vision, humaniste, de la culture. Camus « m’a serré la main après l’une des premières répétitions de Caligula, et j’ai eu vraiment le sentiment de serrer la main d’un homme. C’est une des rares fois où j’ai eu l’impression que ce geste pouvait représenter quelque chose d’authentique », confie celui qui se considère toujours comme un saltimbanque anarchiste. Un histrion qui « ne se leurre pas sur la finalité de son existence. 99 % des hommes sont persuadés qu’ils ne mourront jamais. Ils vivent en tout cas comme s’ils ne devaient jamais mourir. L’acteur sait qu’il est mortel ».

Sur le même sujet

Article
3 min
Martin Legros

Denis Podalydès incarnera bientôt Sartre sur le petit écran. Mais son goût pour la philosophie est plus ancien. Il a même, un temps, songé à enseigner la discipline, avant de basculer dans le théâtre.


Article
2 min
Christophe Jacquet

Le poète romantique italien fait la satire des rêves de progrès nés des Lumières. La rigueur et l’inventivité de ses Petites Œuvres morales ont été portées à la scène par Jacques Nichet à la MC93 de Bobigny, au printemps 2008.




Le fil
5 min
Maurizio Ferraris

Pour le philosophe italien Maurizio Ferraris, Le Suppléant, l’autobiographie à scandale du prince Harry qui vient de paraître, n’est pas tant une manifestation…

Le prince Harry, comédien et martyr

Article
9 min
Johann Chapoutot

Qui était l’officier SS Adolf Eichmann, chargé de la logistique de la « solution finale » ? Depuis Jérusalem où elle assiste au début du procès, Hannah Arendt conclut que le fonctionnaire besogneux est avant tout coupable…