Métamorphose de Descartes. Le secret de Sartre

Une recension de Jean-Marie Durand, publié le

Longtemps sous perfusion allemande – des « trois H », Hegel, Husserl, Heidegger, aux maîtres du soupçon, Nietzsche, Marx et Freud –, la philosophie française moderne n’aurait-elle pas été hantée par un autre spectre, celui de notre Descartes national ? Partant de cette hypothèse, Camille Riquier défend l’idée qu’il n’y a pas eu jusqu’ici de philosophe français « qui ne se soit retourné vers Descartes à un certain moment de son parcours, souvent décisif, pour éprouver sa pensée au contact de la sienne ». Pour Sartre, en particulier, Descartes fut un « référent » plus encore qu’une référence, « qui fournit moins les idées que la trame qui a servi à les ordonner ». Dévoilant son inconscient cartésien, Riquier se livre à un exercice audacieux : imaginer Sartre réécrivant les méditations de Descartes. Sartre l’avoua dès l’année 1944 : « Un seul a agi profondément sur mon esprit, c’est Descartes. Je me range dans sa lignée et me réclame de cette vieille tradition cartésienne qui s’est conservée en France. » Il faut donc douter de la séparation entre le Sartre phénoménologue (L’Être et le Néant) et le Sartre marxiste (Critique de la raison dialectique). Sartre ne fut ni l’un ni l’autre. « Ou plutôt, il fut l’un et l’autre, l’un puis l’autre, dans l’exacte mesure où il fut cartésien et qu’il l’est resté de part en part en sorte que le cartésianisme doit constituer la base continue de l’œuvre entière », écrit Riquier. « Infidèle à Descartes par fidélité », sur la question de Dieu ou de la science, Sartre n’a fait que répondre de Descartes, « au sens où sa philosophie en répond autant qu’il lui répond ». Ce fut cela son secret, inavouable à lui-même : la parole cartésienne se fond dans celle de Sartre. Il fallait la profondeur d’une lecture aussi précise et aventureuse que celle de Camille Riquier pour prendre la juste mesure de ce fantôme existentiel.

Sur le même sujet
Dialogue
14 min
Catherine Portevin

La fêlure est au cœur du travail et des réflexions de Maylis de Kerangal et de Camille Riquier. Pour la romancière comme pour le philosophe, elle…

Maylis de Kerangal-Camille Riquier. À voix nues