Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Maelys de Kerangal et Camille Riquier. © Edouard Caupeil pour Philosophie magazine

Dossier / Sommes-nous si fragiles ?

Maylis de Kerangal-Camille Riquier. À voix nues

Maylis de Kerangal, Camille Riquier, propos recueillis par Catherine Portevin publié le 26 août 2021 14 min

La fêlure est au cœur du travail et des réflexions de Maylis de Kerangal et de Camille Riquier. Pour la romancière comme pour le philosophe, elle est un révélateur de notre humanité. 

 

Maylis de Kerangal : La fragilité m’évoque immédiatement l’essai du philosophe Jean-Louis Chrétien [Fragilité, Éditions de Minuit, 2017]. Sa lecture a compté pour moi, elle était présente quand j’ai écrit mon dernier livre Canoës, un ensemble de récits où je tente de sonder la nature de la voix humaine. Or la voix, la parole sont au cœur de la réflexion de Chrétien sur la fragilité et au cœur de son œuvre. Je l’avais connu en lisant La Joie spacieuse [Éditions de Minuit, 2007], un essai qui a directement influencé l’écriture de Corniche Kennedy [Verticales, 2008]. Je suis touchée de savoir que vous, Camille, étiez lié à lui. Et j’ai entendu sa voix en vous lisant.

 

Camille Riquier : Elle est sans doute partout, de même que, moi aussi, j’ai retrouvé chez vous des confluences étonnantes avec sa façon d’écrire. Jean-Louis Chrétien m’a connu tout petit, si j’ose dire – j’avais 18-19 ans –, et il m’a, à tous les plans, aidé à grandir. C’est un maître, et il est resté un ami jusqu’à ses tout derniers instants en juin 2019. De façon troublante, il a écrit Fragilité, alors qu’à ce moment-là, il ignorait être malade. Et le livre qu’il était en train d’achever lorsqu’il est mort s’appelle De l’absence (il ne manquait que la conclusion, et l’ouvrage paraîtra de façon posthume l’an prochain).

 

M. de K. : Il philosophe en poète, avec immédiatement une grande tension dans la langue. Il a une façon singulière de déplier lentement les mots, les notions, et de les faire résonner. Peut-être pourrions-nous, dans ce dialogue sur la fragilité, essayer de procéder comme lui. Et commencer, par exemple, par cette image de la fêlure qu’il relève dans l’extraordinaire roman de Henry James, La Coupe d’or [1904]. Cette coupe d’or, au centre du roman, est un objet précieux mais possède une fêlure cachée, qui serait comme le révélateur de la fragilité intérieure, intrinsèque, de l’amour.

 

C. R. : Et de la condition humaine : la fragilité la définit entièrement, de la naissance à la mort. C’est pourquoi, signale Jean-Louis Chrétien, il est difficile de trouver un antonyme au terme « fragilité », il n’existe pas de véritable contraire de la fragilité… On pense à « solidité », « force », parce qu’on assimile fragilité et faiblesse. C’est faux. Prenons, par exemple, la voix humaine. Vous lui donnez une profondeur dans Canoës en pensant la différence entre les voix féminines et masculines. Or, en effet, on pense spontanément que la voix aiguë, enfantine ou féminine, est plus fragile que la voix masculine, alors qu’une voix grave, même la plus stable, peut tout autant se briser. Leur fragilité n’est pas une question de force ou de faiblesse.

 

M. de K. : Oui, dans l’une des nouvelles de Canoës, « Ruisseau et limaille de fer », Zoé veut changer de voix, obtenir un timbre plus grave afin de devenir animatrice à la radio, où les voix aiguës sont discriminées car perçues comme un marqueur de fragilité. On se souvient, par exemple, que lors de la campagne présidentielle de 2012, la voix aiguë de Ségolène Royal avait été critiquée, moquée, qualifiée d’hystérique, sa voix aiguë connotant l’incompétence, l’instabilité, la faiblesse ; elle jouait en outre comme le révélateur de la femme fragile en qui l’on ne pouvait avoir totalement confiance. La corrélation du féminin et du fragile évidemment allait de soi, elle jouait à plein !

 

C. R. : Dans votre nouvelle « Mustang », Sam, en vivant au Colorado, change de voix en changeant de langue, et c’est tout son corps qui se transforme, son visage qui prend de nouveaux muscles, comme si le corps n’était jamais qu’un porte-voix. La voix est ce qu’il y a de plus irréductible, et le corps est comme une sorte de temple qui l’abrite.

 

M. de K. : Oui, le corps comme lieu de la voix, comme ce qui la contient et la fait résonner, comme son enveloppe. Dans l’une des nouvelles, « Un oiseau léger », la voix de Rose s’échappe de son corps défunt et revient habiter l’appartement via le répondeur téléphonique. De fait, la voix, c’est immédiatement du corps, c’est de l’incarnation. Elle est invisible, ce sont des vibrations immatérielles dans l’air, mais elle a pourtant le pouvoir de faire advenir quelqu’un, de le rendre présent. On en fait l’expérience au téléphone, mais aussi par la mémoire auditive que nous gardons de la voix des morts. Ce qui est troublant, c’est l’asymétrie entre la fragilité de la voix humaine, qui, comme tout organe musculaire, peut se détendre, se déchirer, s’al­térer, et sa puissance absolue qui est de transmettre le sens.

Expresso : les parcours interactifs
Quel(le) amoureux(se) êtes-vous ?
Quel est votre profil d'amant(e) ou d'amoureux(se) ?
Faites-vous primer le désir comme Spinoza, la joie à l'instar de Platon, la liberté sur les pas de Beauvoir, ou la lucidité à l'image de Schopenhauer ? Cet Expresso vous permettra de le déterminer !
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
2 min
“Réparer les vivants” : corps à corps
27 mai 2017

Adapté sur scène du best-seller de Maylis de Kerangal, “Réparer les vivants” rappelle avec brio que la mort aussi est une construction sociale. …

“Réparer les vivants” : corps à corps

Article
5 min
Entre ciel et mer
Maylis de Kerangal 29 juin 2016

Un adolescent s’élance d’une corniche. Pour la romancière Maylis de Kerangal, ce grand saut est la parfaite métaphore d’un accès privilégié au…

Entre ciel et mer

Article
5 min
Ni fort ni faible !
Cédric Enjalbert 25 juillet 2021

Parente de la faiblesse et de la vulnérabilité, la fragilité a sa propre dignité conceptuelle. Cette disposition humaine, redécouverte à l…

Ni fort ni faible !

Article
15 min
L’impro mais pas trop ?
Samuel Lacroix 25 août 2022

Dans l’activité des témoins que nous avons rencontrés, l’intuition est censée jouer un rôle essentiel. Sauf que tous constatent qu’elle ne serait…

L’impro mais pas trop ?

Article
3 min
Camille de Toledo à l'opéra : « La Chute de Fukuyama »
Victorine de Oliveira 28 mars 2013

Vendredi 29 mars 2013 a lieu Salle Pleyel, à Paris, la création de « La Chute de Fukuyama », un opéra du compositeur Grégoire Hetzel sur un livret…

Camille de Toledo à l'opéra : « La Chute de Fukuyama »

Article
2 min
Vulnérabilité
Pierre Terraz 29 avril 2021

Faiblesse du corps ou force de l’esprit ? Cinq penseurs s’exposent.   


Article
6 min
La vulnérabilité des “sans-visage”
Emmanuel Levine 06 mars 2019

Sommes-nous tous également vulnérables ? demande la philosophe américaine Judith Butler à Levinas. Si la précarité est le lot de l’humanité…

 La vulnérabilité des “sans-visage”

Article
1 min
Camille sur le fil
Alexandre Lacroix 28 août 2012

Couronnée par le prix Constantin et par trois Victoires de la musique, Camille s’est imposée avec ses deux albums, Le Fil (2005) et Music Hole (2008). Jouant de sa voix comme d’une matière première qu’elle sculpte, elle réduit les…


Article issu du dossier "Sommes-nous si fragiles ?" août 2021 Voir le dossier
À Lire aussi
Mort du philosophe Jean-Louis Chrétien
Par Cédric Enjalbert
juillet 2019
Julian Baggini : “Le point essentiel est d’accepter sa faiblesse, sa vulnérabilité”
Julian Baggini : “Le point essentiel est d’accepter sa faiblesse, sa vulnérabilité”
Par Alexandre Lacroix
mars 2020
La fragilité fait de la résistance
La fragilité fait de la résistance
Par Camélia Echchihab
mars 2016
  1. Accueil-Le Fil
  2. Dialogues
  3. Maylis de Kerangal-Camille Riquier. À voix nues
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse