Total bullshit ! Aux sources de la post-vérité

Une recension de Victorine de Oliveira, publié le

Les baratineurs nous agacent autant qu’on les admire, c’est là leur talent : de Don Juan au Docteur Knock, la littérature en regorge. De cette figure sympathique – quand on n’en est pas le pigeon – on a même fait un archétype : le bullshitteur. Avant même l’essor des réseaux et l’élection de Donald Trump, On Bullshit, un court essai paru en 2005 signé du philosophe américain Harry G. Frankfurt (De l’art de dire des conneries, 2006 ; rééd. Mazarine, 2017), tentait de mettre le doigt sur ce concept insaisissable que l’on traduit difficilement en français par « foutaise » ou « connerie ». Frankfurt s’y intéressait en tant qu’angle mort de la communication : si nous condamnons fermement le mensonge, nous tolérons en revanche le bullshit, auquel nous contribuons même de temps à autre. Forme d’indifférence à la vérité, il prolifère via la langue de bois dans les cercles académiques. À l’ère de la post-vérité, le bullshit, désormais roi, inquiète. De quoi justifier l’effort de Sebastian Dieguez, celui d’une définition du concept, affinée à partir de celle de Frankfurt. Le bullshit a ceci de désarmant qu’il ne respecte aucune règle de communication : il ne tient pas compte du fait qu’au cours d’un débat, chaque interlocuteur s’attend à ce que l’autre apporte une contribution pertinente et étayée. Il prend les apparences de la vérité – affirmation assénée avec assurance –, mais « toujours dans l’intérêt de fins personnelles qui supplantent l’intérêt collectif de se rapprocher de la vérité ». Tout chercheur en neurosciences qu’il est, Dieguez reconnaît l’impuissance des armes de la science face au phénomène. Contre le bullshiteur, mieux vaut ranger les arguments pour brandir un rire moqueur : du ridicule, il ne se remettra pas.

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