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© Olivier Ratsi

Dossier / “Complotisme”

Sebastian Dieguez-Nancy Murzilli : frictions et réalité

Nancy Murzilli, Sebastian Dieguez, propos recueillis par Cédric Enjalbert publié le 27 avril 2023 12 min

L’une est philosophe et analyse l’effet de nos fictions sur le réel. L’autre est neuroscientifique, spécialiste des mécanismes de la croyance. Ensemble, Nancy Murzilli et Sebastian Dieguez décortiquent la nature « imaginative » du complotisme. Ils cherchent, par contraste, à identifier ce qui fait une « bonne » histoire, socialement et politiquement. 

 

Sebastian Dieguez : Un complot, c’est une entente entre individus à des fins malfaisantes, par exemple pour orchestrer un coup dans le dos de la population ou des autorités. Mais cela existe à tous les niveaux de la société, en famille, en politique, en économie… Les véritables complots sont généralement assez mesquins et la plupart du temps complètement ratés. Ils ne feraient pas de bons films. En revanche, les théories du complot exagèrent le machiavélisme des grands de ce monde et forcent l’interprétation d’un événement, même sans éléments conclusifs, pour le dénoncer ou le déjouer réellement. Le complotisme, enfin, est un style mental ou une vision du monde, qui conçoit tout ce qui se déroule historiquement sous l’angle de la machination délibérée, généralement parfaite, d’entités nébuleuses.

 

Nancy Murzilli : Pour prolonger cette définition, par rapport à la fiction littéraire notamment, je dirais que les théories du complot sont orchestrées selon certains ressorts du récit, qui les rendent efficaces. Il existe un certain nombre de passages obligés, une trame : un secret bien caché, des autorités qui nous mentent, un méchant animé par une obscure finalité, ainsi qu’un héros qui nous sauve.

 

S. D. : La logique complotiste est téléologique, elle explique toutes les actions par une fin posée a priori, comme dans une fiction complète et définitive… tout en se présentant sous forme d’enquête, de quête de vérité. La trame est pourtant écrite d’avance, et ce qui y déroge est intégré en ajoutant une nouvelle couche de complot. Certaines explications demeurent cependant plus efficaces, parviennent à capter l’attention et deviennent virales. Mais personne ne parle du « cimetière des théories du complot », celles qui n’ont jamais pris. Ainsi, l’idée que la Terre est creuse connaît beaucoup moins de succès que l’idée qu’elle soit plate. 

 

N. M. : Les théories du complot efficaces s’ancrent aussi dans un contexte d’actualité. Elles bénéficient d’un kaïros, d’un moment opportun qui permet de nouer rétrospectivement des liens entre des événements et des personnes a priori disparates. Les fictions ordinaires, celles que nous produisons au quotidien, souvent sans intention artistique, servent, elles, la plupart du temps à nous projeter dans l’avenir, à nous orienter dans le chaos de l’existence. Elles nous aident à avancer, à imaginer des solutions à nos difficultés en nous extrayant du cadre logique dans lequel nous sommes impliqués.

 

S. D. : Cependant, à la différence de ce que les philosophes Max Black et Harry Frankfurt ont théorisé sous le terme « bullshit », soit un discours dénué de tout intérêt pour la vérité, la fiction ordinaire, plus ou moins imaginative, n’est pas indifférente à l’égard du vrai et du faux. Le monde réel est un arrière-fond sur lequel elle prend forme. Il existe d’ailleurs un concept intéressant dans la théorie de la fiction : la « résistance imaginative », avancée originellement par David Hume, soit l’idée que certaines idées ou normes sont difficiles à imaginer, qu’on y résiste notamment parce qu’elles heurtent nos valeurs, parce qu’un « effort violent » est nécessaire pour changer des jugements et des sentiments « différents de ceux avec lesquels l’esprit s’est familiarisé par une longue habitude ». Il est, par exemple, difficile d’entrer dans un récit où le héros serait profondément immoral. Il y aurait donc des récits qui laisseraient tout le monde indifférent. Je ne suis d’ailleurs pas certain qu’on « adhère » véritablement aux théories du complot. Dans Croiver, je cherche justement à réhabiliter la croyance, une certaine manière d’adhérer et de tenir pour vrai, imaginative et créative, distincte de ce que j’appelle la « croivance ». La croyance est passive, involontaire, amendable, elle correspond à une attitude cognitive et propositionnelle, qui répond à l’évidence du monde extérieur et qui maintient la vérité pour objet. La croivance, à l’inverse, est une pseudo-croyance, active, volontaire et tenace. Les complotistes ne croient pas, ils se dupent eux-mêmes en fabriquant un monde sous l’angle du complot. On a donc affaire à une manière de voir le monde qui, plutôt que de vivre en se projetant dans des fictions ordinaires, performatives comme vous le dites, transforme la vie ordinaire en fiction, en façonnant l’actualité selon un récit standardisé.

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Article issu du dossier "Complotisme. Pourquoi se raconte-t-on des histoires ?" avril 2023 Voir le dossier
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