Hors-série "Hannah Arendt"

Antonia Grunenberg : "Arendt analyse la dégradation des structures politiques et de la cohésion sociale"

Antonia Grunenberg publié le 22 janvier 2023 5 min

Le totalitarisme selon Arendt, explique la philosophe politique Antonia Grunenberg, surgit dans les temps modernes où la philosophie a déserté le champ de l’action publique, laissant libre cours au règne de la terreur et de l’idéologie. Seule une puissante opinion publique peut écarter cette menace toujours présente jusqu’au cœur des sociétés démocratiques.

 

Il semble que Arendt soit toujours plus enseignée que lue en Allemagne. Est-ce parce qu’elle n’y est pas revenue après 1945 ?

Antonia Grunenberg : Cela y a peut-être contribué. Mais je crois qu’il y a eu d’autres facteurs tout aussi importants. Être une femme n’est pas vraiment un atout pour obtenir la canonisation philosophique ; à cela s’ajoute sûrement le fait qu’Arendt était juive et combative. Dans l’Allemagne de l’Ouest post-totalitaire, on ne tenait pas beaucoup à redonner aux savants juifs chassés du pays la notoriété qu’ils avaient eue jadis. En outre, Arendt travaillait par principe sur le mode transdisciplinaire. Les Origines du totalitarisme, par exemple, est un mélange de récit historique, de réflexion philosophique et d’analyse historiographique.

 

Qu’est-ce qui l’incite, avec sa formation classique de philosophe, à pratiquer ce mélange de disciplines ?

Il y a, dans ce refus systématique de la méthodologie scientifique une critique méthodologique radicale des sciences classiques et de la philosophie. Arendt n’a jamais cessé d’insister là-dessus. Elle ne voulait pas se qualifier de philosophe, mais disait pratiquer la « théorie politique » et le justifiait ainsi : pour elle, la philosophie était devenue une science « sans monde » dont elle ne voulait pas relever. Hannah Arendt a pris résolument ses distances avec cette manière que l’on avait, en philosophie, de se détourner du monde et de se réfugier dans la métaphysique.

Traduit par Olivier Mannoni
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