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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Des jeunes prennent d’assaut les abords de La Défense, mettant feu aux voitures et aux bureaux, après la fin de la “marche blanche” organisée par la mère de Nahel, qui s’est déroulée dans le calme, à Nanterre (92), le 29 juin 2023. © Pierre Terraz pour PM

Reportage

Après la mort de Nahel, la violence comme seul exutoire ?

Pierre Terraz publié le 30 juin 2023 6 min

Depuis la mort de Nahel M., tué par un agent de police le 27 juin dernier, des émeutes ont lieu un peu partout en France. Dans la cité Pablo-Picasso, à Nanterre (92), une partie de la jeunesse revendique la haine et la violence comme seule manière de se faire entendre. Quitte à aller jusqu’à détruire son propre environnement et les infrastructures censées la soutenir. Notre reporter s’est rendu sur place pour essayer de comprendre l’état d’esprit des uns et des autres.


 

« Ce soir, c’est à notre tour de tuer l’un des leurs. » Voilà le message qui se chuchote de bouche-à-oreille, en fin d’après-midi, dans les rues de Nanterre (Hauts-de-Seine). Les yeux rougis par les gaz lacrymogènes et la haine, munis de barres de fer et de pavés arrachés à la chaussée en guise de projectiles, les jeunes de la Cité Pablo-Picasso se barricadent en attendant la police.

La journée a plutôt bien commencé, pourtant. Après deux éprouvantes nuits d’émeutes déclenchées par la mort du jeune Nahel, tué par un policier lors d’un contrôle routier dans l’ouest parisien, 6 200 personnes ont répondu à l’appel de Mounia M., sa mère, afin de participer à une « marche blanche » largement pacifique. Rare occurence : dans le cortège étaient présentes des personnes de toute la région, sinon de toute la France, de Montrouge (92) à Aulnay-sous-Bois (93) en passant par les arrondissements les plus cossus de la capitale.

Mères solidaires

« Ferme les rideaux et ne t’inquiète pas, mon chéri. Mais surtout, reste à la maison s’il-te-plaît », murmure au téléphone une dame à son fils, visiblement inquiet pour elle, avant le départ du cortège. « Il ne comprend pas que je sois venue ici avec tout ce qu’il se passe. Hier, à Bagneux, des gens ont cassé notre fenêtre et on a reçu des feux d’artifices dans le salon. On a eu très peur… Mais qu’est-ce que je suis censée faire ? Une autre mère a vu son fils laissé pour mort à même le sol, abandonné trois heures durant sous un drap pendant que ses assassins circulaient en uniforme avec un permis de tuer. Je crois qu’il n’existe pas pire supplice sur terre », confie-t-elle, emphatique. Accompagnée de deux amies, la sexagénaire à la retraite a absolument tenu à joindre sa peine au deuil d’une autre mère, malgré le risque.

Mounia M., la mère de Nahel, le jeune tué lors d’un contrôle de police, pleure dans le cortège de la “marche blanche” organisée pour son fils et qui a réuni plus de 6 000 personnes à Nanterre (92), le 29 juin 2023. © Pierre Terraz pour PM

Mounia M., la mère de Nahel, le jeune tué lors d’un contrôle de police, pleure dans le cortège de la “marche blanche” organisée pour son fils et qui a réuni plus de 6 000 personnes à Nanterre (92), le 29 juin 2023. © Pierre Terraz pour PM

Dans le cortège de la « marche blanche », nombreux sont les parents qui sont venus manifester leur soutien, et essayer de reprendre avec bon sens le dessus sur une colère exacerbée à l’extrême. « Je ne la connais pas mais nous avons le même âge, et j’ai aussi des enfants. Je suis infirmière en psychiatrie : des policiers, j’en vois tous les jours, ils ont un métier difficile… Mais certaines choses ne se cautionnent pas », témoigne une Parisienne qui a fait le déplacement pour l’occasion. Mounia conserve elle aussi sa dignité malgré son très légitime émoi. Perchée sur un camion blanc, les cheveux teints en blond tirés par un chouchou noir, elle semble profiter de l’amour de la foule avant de replonger dans le gouffre de la solitude, puis du pénible chemin de la résilience. « Je n’en veux qu’à un seul homme », clame-t-elle.

Dans un élan d’indécence, certains parviendront quand même à lui reprocher un sourire si fugace. « Montée sur un char, tout sourire aux côtés d’Assa Traoré, la mère de Nahel salue la foule en distribuant les bisous comme si elle était à un mariage. Mais qui sont ces gens ? », écrit sur Twitter Jean Messiha, sombre chroniqueur de TPMP. Dans une société en tension aux positions de plus en plus polarisées, en est-on à reprocher à une mère endeuillée de chercher un moment de consolation ?

Pour la jeunesse, “la guerre”

« Combien de Nahel n’ont pas été filmés ? » Voilà la question qui, chez les plus jeunes, alimente toutes les rancœurs. Car à Nanterre, tous ont bien la statistique en tête : « Ce sont 13 personnes qui ont été tuées dans le cadre de contrôles policiers, rien qu’en 2022. En réalité, ce genre d’événements, c’est tous les jours chez nous, mais les flics parviennent toujours à étouffer l’affaire. S’il n’y avait pas eu de vidéo, cette fois non plus, ils ne seraient jamais revenus sur leur première version des faits qui dédouanait complètement la police en accusant Nahel d’être un criminel », assure un jeune de Beaumont-sur-Oise (95), membre du comité « Vérité pour Adama » qui milite pour que les responsables de la mort d’Adama Traoré soient mis en examen.

« On en a marre d’être canardés comme des lapins, résume plus prosaïquement Sonia, une amie du défunt, en tête de cortège. Cette marche, c’est pour sa maman, pour nos aînés. Mais pour nous, ce n’est plus suffisant. Les émeutes, la révolte, tout ça va continuer. »

Le jour même, la mise en examen pour homicide volontaire et l’incarcération du policier mis en cause dans la mort de l’adolescent ne suffiront pas à apaiser la situation. « C’est une bonne nouvelle, concède seulement une jeune femme, mais nous, on veut qu’il soit jugé et qu’il paie vraiment. Qui nous dit que dans quelques semaines, il ne sera pas de nouveau en boîte de nuit, comme Pierre Palmade ? En attendant, c’est la guerre : pas de justice, pas de paix. »

Violence autodestructrice

Au milieu de cette colère, une chose reste toutefois incompréhensible. Puisque dans cette histoire, ce sont les victimes qui deviennent leurs propres bourreaux. Pourquoi incendier ses propres voitures, vandaliser ses propres transports publics, attaquer ses propres écoles et réduire en cendres les cinémas qu’on côtoie soi-même ? Si quelques bâtiments symboliques – commissariats et mairies – ont été logiquement ciblés depuis le début des affrontements, on voit surtout brûler supermarchés, restaurants, écoles et manèges des quartiers populaires.

Des jeunes affrontent la police à coups de pavés après avoir enflammé un manège dans le parc André-Malraux, à l’entrée de la Cité Pablo-Picasso, à Nanterre (92), le 29 juin 2023. © Pierre Terraz pour PM

Des jeunes affrontent la police à coups de pavés après avoir enflammé un manège dans le parc André-Malraux, à l’entrée de la Cité Pablo-Picasso, à Nanterre (92), le 29 juin 2023. © Pierre Terraz pour PM

Pour une raison difficile à comprendre de l’extérieur, une jeunesse qui, sur ces territoires, est moins bien pourvue en équipements et en encadrements en tout genre, décide de s’attaquer à ceux qui sont les plus prévenants à son égard. Par ce mode d’action destructeur, elle bascule du même coup, aux yeux d’une partie du public, du camp des victimes dans celui des agresseurs. Et crédibilise ainsi le discours inquisiteur du premier responsable : l’État lui-même.

Appel à l’aide

À l’heure des premiers affrontements, dans la Cité Pablo-Picasso, une vieille dame m’interpelle : « Vous êtes journaliste, Monsieur ? Il faut que vous disiez qu’on ne peut pas vivre ici, on a peur et on ne peut rien dire… », lâche-t-elle, avant de se faire interrompre par un groupe de cinq jeunes hommes, qui m’ordonnent de passer mon chemin. « C’est bon, Madame, la situation est sous contrôle, ce sera bientôt terminé, ne dites pas des choses comme ça », lui réplique l’un d’entre eux.

“Moi, je viens de la Cité Jardins. Ça s’appelle la ‘Cité Jardins’ ! Mais vous croyez vraiment qu’il y a des jardins, là-bas ?”

À Nanterre, les jeunes ne parlent pas vraiment avec les journalistes. Mais une réponse sporadique suffit, peut-être, pour comprendre quelque chose à leur état d’esprit : « Moi, je viens de la Cité Jardins. Ça s’appelle la “Cité Jardins” ! Mais vous croyez vraiment qu’il y a des jardins, là-bas ? C’est juste un nom, les Jardins, c’est seulement dans la tête des cons de politiques qu’ils croient qu’il y en a, chez nous, des fleurs. Qu’ils viennent y vivre et on verra s’ils ne veulent pas la brûler, la cité. »

Ainsi la violence contre soi-même, comme la scarification, est souvent le signe d’un appel à l’aide. Un dernier recours d’urgence qui, à défaut d’être sain, se situant aux frontières de la raison comme l’écrit Frantz Fanon, porte en lui une effectivité immédiate. Car il est bien vrai qu’ici, à la cité Pablo-Picasso, depuis qu’on brûle sa propre maison, c’est la première fois de l’année qu’on voit des ambulances et des caméras tourner dans le quartier.

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