Astérix et l'éternel banquet final

Il y a eu le Banquet de Platon : des hommes boivent du vin, se racontent des histoires et devisent joyeusement sous la lune d’Athènes. Parmi eux, des guerriers et un sage, Socrate, qui reste sobre. Le poète, Aristophane, participe aux réjouissances. Il y a le banquet d’Astérix : des hommes, et parfois quelques femmes, boivent de la cervoise, se racontent des histoires et devisent joyeusement sous la lune d’Armorique et sous un ciel qui n’est pas près de leur tomber sur la tête. Parmi eux, des guerriers et un sage, Panoramix, qui reste sobre. Le poète, Assurancetourix, ne participe pas aux réjouissances. Chez Platon, on se pose des questions insolubles et on se dispute. Chez Astérix, on les résout et on se réconcilie. Si tous les albums d’Astérix s’achèvent rituellement sur la vignette du banquet, c’est que celle-ci exprime, au rebours de l’interrogation philosophique, la fin des doutes et des inquiétudes. Au moins pour un temps.

Au centre du cosmos

Cette case exprime le retour à l’ordre cosmique et moral. Elle dessine ce que doit signifier le bonheur en Gaule : familiarité et chaleur (le mot banquet vient de « banc », sur lequel on se serre). Elle dessine en quelques traits et en peu de mots la manière dont on peut remplir le vocable intimidant de Patrie, qui signifie ici « maison ». Il s’agit en effet de revenir au bercail après les longs voyages. Après avoir exploré la froideur et les dangers du monde extérieur, on se rassemble autour du foyer, autour de cette immense flamme qui s’élève mystérieusement au milieu de la tablée. On y retrouve ses repères familiers. Pour Obélix, ce n’est pas compliqué, surtout après un séjour traumatisant au pays du bœuf bouilli et de la sauce à la menthe : « Mon petit Idéfix et le sanglier rôti… ! VIVE LA GAULE ! » La maison, ce sont aussi les habitudes, comme celle de taper sur Assurancetourix (La Grande Traversée : « Mais ces considérations ne troublent pas longtemps nos Gaulois qui ont retrouvé, sous les étoiles, la chaleur de l’amitié et leurs petites habitudes »). Les allusions aux dieux se font moins farce. Les Gaulois se retrouvent au centre du cosmos, sous les étoiles, dans une nuit (sauf deux, à la fin d’Astérix gladiateur et d’Astérix et Cléopâtre) qui magnifie leur isolement mais aussi leur indestructible union. Quand ils ne sont pas allés explorer la Grèce ou l’Amérique, les Gaulois reviennent d’encore plus loin : on a failli leur voler la recette de la potion magique, on a séquestré l’un d’entre eux ou, pire, on a essayé de les diviser, de désintégrer leur fraternité. Le banquet scelle donc la réconciliation. Après les bouderies, les jalousies, les peines de cœur, « tous ces soucis compliqués fondent sous les étoiles comme neige au soleil et c’est l’esprit tranquille que les Gaulois fêtent leur amitié retrouvée… » (Obélix et Compagnie). La réconciliation est aussi, après les drames liés au désir de pouvoir ou à l’envie de dominer, un retour à l’égalité. La table ronde l’incarne.