Au bistrot

Avital Ronell. L’affranchie

Juliette Cerf publié le 4 min

Un peu effrontée, un peu voyou, Avital Ronell a imposé avec style la French Theory aux États-Unis. L’amie de Jacques Derrida aime mixer idées et langages à la manière d’un DJ, enquêter sur la bêtise ou le téléphone tel un détective. Une approche qui n’a rien d’académique.

« L’idée d’être publiée en France était pour moi accablante, insupportable. J’ai un respect inconditionnel pour les penseurs français. D’où ma peur, ma phobie d’apparaître ici », confie Avital Ronell. Surnommée quelquefois la « dame en noir de la déconstruction », elle choisit ses termes, élit ses adjectifs avec une délectation hyperbolique, comme si elle tenait à souligner qu’ils pouvaient à tout moment devenir dangereux… Elle se dit d’ailleurs « voyou », « gangster », considérant la philosophie comme un territoire hostile et transgressif, un lieu brutal et physique, bien plus que comme une histoire d’amour avec la sagesse. Traductrice de Jacques Derrida, de Jean-Luc Nancy, de Philippe Lacoue-Labarthe, Avital Ronell a tant bataillé pour introduire la French Theory aux États-Unis qu’elle ne s’est jamais préoccupée de s’adresser aux lecteurs hexagonaux.

C’est chose faite aujourd’hui, Stupidity et Telephone Book, deux de ses ouvrages (elle en a écrit une dizaine), ont été traduits, éclairés par American Philo, un livre d’entretiens avec la philosophe Anne Dufourmantelle qui retrace les grandes lignes de sa pensée hétérodoxe et de sa vie, faite d’exils. Née à Prague dans une famille juive allemande, Avital Ronell a vécu en Israël, puis aux États-Unis. Cette passeuse qui a d’abord travaillé sur la philosophie et la littérature allemandes enseigne à l’université de New York, après avoir été professeur à Berkeley. « Le statut de la philosophie est tellement mince aux États-Unis qu’il fallait la faire sortir de ses limites académiques pour la rendre excitante », explique-t-elle. De la bêtise au téléphone, du sida (Finitude’s Score : Essays for the End of the Millennium) à l’addiction (Crack Wars : Literature, Addiction, Mania) en passant par l’épreuve du test (The Test Drive), les territoires arpentés par Avital Ronell croisent la technique, la pathologie, le traumatisme. Elle raconte avoir jugé nécessaire d’écrire sur la bêtise pour des raisons politiques : « En Amérique, ce sont ceux qui détestent la pensée, qui sont allergiques à la réflexion qui dominent et qui prennent les décisions cruciales. »

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