Le Père Noël existe-t-il ?

Eric Kaplan : Pour moi, il n’est pas évident qu’il existe uniquement pour ceux qui y croit. Il pourrait par exemple exister, mais sous un nom différent, pour ceux qui ne croient pas en lui. De même, s’il existe pour ceux qui croient en lui, alors il devrait aussi exister, d’une manière ou d’une autre, pour quiconque a affaire avec ceux qui croient en lui. Voici une analogie : les mères existent-elles ? On peut penser que, pour les animaux qui procréent mais ne s'occupent pas de leurs petits, les mères n’existent pas. On peut penser de la même façon que pour les humains les mères adoptives sont bien des mères, mais que les femmes qui louent leur utérus ne sont pas des mères. Imaginons que ce soit vrai. Dans ce cas, est-il vrai de dire que “les mères existent seulement pour ceux qui croient en elles” ? Non, parce qu’elles existent pour tous ceux qui ont affaire aux mères, comme vous l’apprendrez si écopez d'une demande de reconnaissance de paternité !
 

L’idée de ce livre provient de la réaction d’une mère qui a refusé que son fils, qui croit encore au Père Noël, aille au zoo avec celui d'Eric Kaplan, qui n’y croit pas. “Elle a pris la décision d’empêcher son fils de nouer une relation avec quelqu’un de réel pour préserver sa relation avec une personne qui n’existe pas”, s'étonne l'auteur. Pourquoi ? C’est ce paradoxe que le livre s’attache à approfondir avec humour... et philosophie.

Comme vous l’écrivez, le titre de votre livre – Le Père Noël existe-t-il ? – possède plusieurs sens. Lesquels ?

Le livre a trois titres. Le premier : Le Père Noël existe-t-il ?, où tous les mots ont une importance égale. Il renvoie à la question de savoir si le barbu qui offre des cadeaux existe ou pas. Le second : Le Père Noël existe-t-il ? avec une insistance sur la question de l’existence, d’un point de vue ontologique. Il nous arrive de croire fermement en certaines choses qui ne sont pas universellement reconnues comme “réelles”. Donc, à partir de quand quelque chose ou quelqu’un existe ? Enfin : Le Père Noël existe-t-il ? La question doit être posée comme un argument procédant à la réduction par l’absurde pour contrer ceux qui défendent qu’il existe des choses qui dépasse le champ de la science. Mais cet argument est-il valide ?

La philosophie peut-elle aider à résoudre une question telle que la croyance en l’existence du Père Noël ?

La plus grande part de la vie est modelée par l’habitude. Mais parfois nos habitudes ne sont pas à la hauteur des défis du monde qui nous entoure, soit parce qu’il a changé matériellement soit parce qu’il a changé socialement. Prenons l’exemple d’une société multi-ethnique dans laquelle nous vivrions et où les gens auraient des traditions mythiques, littéraires et politique différentes. Dans ces cas-là, la philosophie peut-être très utile.

Pour répondre à la question, vous explorez trois options : la logique, le mysticisme et l’humour. En quoi répondent-elles au paradoxe du Père Noël, qui en un sens existe et n’existe pas ?

Rapidement et grossièrement, je dirais que la logique est une tentative pour faire de nos croyances un système cohérent et consistant en en éliminant les contradictions. Un problème avec la logique est qu’elle peut vous contraindre à supprimer des croyances qui s’avèrent finalement bien utiles. Ainsi, dans le cas du Père Noël, vous pourriez n’être pas capable de rendre logiquement compte de vos élans de générosité, d’amour ou d’échange, et vous pourriez pour cette raison en finir avec eux, ce qui vous conduirait à un appauvrissement considérable des possibilités de votre existence.

Le mysticisme nous invite lui à embrasser la contradiction. Aussi le mystique n’a-t-il aucun problème à dire du Père Noël “qu’il existe et qu’il n’existe pas”. Le point faible du mysticisme est qu’il ne nous autorise pas à critiquer les croyances qui ne fonctionnent pas. Il défend une forme d’autoritarisme – la jeune génération n’a le droit de se débarrasser d’aucune des traditions et des pratiques des anciens, parce qu’elles sont protégées par un halo mystique.

J’ai le sentiment que l’humour prend le meilleur de ces deux mondes. Vous avez la possibilité de critiquer les dogmes autoritaires et vieillots qui rend la logique si efficace, mais vous avez aussi cette tolérance pour la complexité de l’existence, qui rend le mysticisme si stimulant.

Le Père Noël est-il vraiment le problème, au fond ?

Disons que le Père Noël est une façon d’accéder à une question plus générale, relative à la façon dont l’esprit humain fini peut s’emparer de l’infini. Le Père Noël est ce que le cabaliste Isaac Luria appelle un “partsuf” [un visage, en hébreu] – à savoir une image résultant de la rencontre entre la conscience de l’homme dans l’histoire et l’illimité.

En demandant “le Père Noël existe-t-il ?” ne renvoyez-vous pas à une cette autre question : “Pourquoi nous, humains, l’avons-nous inventé ?”

J’ai le sentiment que le terme “inventer” a quelque chose de trompeur dans ce contexte pace qu’il suggère qu’il serait facile d’identifier la différence entre une invention (invention) et une découverte (discovery), ou pour parler anglais plutôt que latin, entre le fait de découvrir (finding) et le fait d’inventer (making). Si je trace un chemin à travers une forêt, je découvre par ce simple fait un chemin à travers la forêt. Si je découvre un bon moyen de séparer le bon grain de l'ivraie j’invente par cette simple découverte une procédure pour séparer le bon grain de l'ivraie. Vous pouvez dire que l’on a “inventé” le Père Noël, mais de là personne ne devrait conclure que cette invention fut arbitraire ou que n’importe quelle autre vieille idée aurait fait l’affaire tout aussi bien.

Je pourrais aussi, si je voulais être casse-pieds, poser la question de savoir qui est ce “nous” et ce que “humains” signifie dans votre question. Peut-être qu’être humain requiert d’éprouver le sentiment du sacré, si bien que quiconque n’“inventerait” pas le Père Noël ou quelque chose dans son genre ne serait pas tout à fait humain. Mais je ne veux pas être casse-pieds, donc Joyeux Noël ! »

À lire: Does Santa Exist? A Philosophical Investigation par Eric Kaplan