Axel Honneth : “Le travail acharné n’attire plus l’attention”
Comment s’articulent le monde du travail et la vie politique ? Pour le philosophe allemand Axel Honneth, la question est décisive. Elle est pourtant rarement posée par les penseurs de la démocratie. La mutation pandémique du travail pourrait être l’occasion de se pencher sur le problème à nouveaux frais.
La question du travail est souvent la grande absente des réflexions sur la démocratie. Pourquoi ?
Axel Honneth : Il y a des raisons très simples à cela, à commencer par le fait que les philosophes entrent rarement en contact avec le monde du travail classique. De plus, certains secteurs du monde du travail – notamment ceux qui impliquent un effort physique intense –, sont peu représentés dans la conscience publique. Mais il y a aussi deux raisons internes à la théorie de la démocratie elle-même. Premièrement, le marché du travail est souvent compris comme un champ dans lequel aucune intervention politique ne semble possible. Un espace trop complexe, régi par ses propres lois. Cette idée joue notamment un rôle dans les théories de Jürgen Habermas et John Rawls. De leur point de vue, le marché du travail est un mal nécessaire. Un mal, car il engendre d’innombrables problèmes, à commencer par un travail répétitif et aberrant. Nécessaire, pourtant, car on travaillerait bien peu sans la règle de l’offre et de la demande. Par exemple, pour doter une organisation caritative d’un personnel compétent, il est nécessaire d’en passer par des incitations financières. En somme, le marché du travail est comme une zone grise, que l’on ne peut pas vraiment pénétrer philosophiquement. Deuxième raison interne aux théories de la démocratie : nous avons pris l’habitude de débattre des questions de justice avec, en tête, le principe d’égalité sociale. La question est donc toujours : comment faire en sorte que nos conditions sociales se rapprochent le plus possible de ce principe d’égalité ? Cependant, si vous regardez le monde du travail, cette idée d’égalité semble un peu à côté des enjeux. Bien sûr, il faut dénoncer la discrimination – Rawls et Habermas l’ont toujours fait. Mais, lorsqu’il s’agit de penser le travail aberrant ou épuisant, le principe d’égalité n’est plus d’aucune aide. La question n’est pas « Comment égaliser les relations de travail ? », mais « Comment organiser au mieux le travail, selon les secteurs, pour qu’il favorise, en particulier, une meilleure participation à la démocratie ? »
“Pour beaucoup, le marché du travail est comme une zone grise, que l’on ne peut pas vraiment pénétrer philosophiquement”
Prendre publiquement la parole, qui est le fondement de la démocratie, est-il particulièrement problématique au sein du monde du travail ?
À première vue, avec le recul des cinquante dernières années, on constate que les principes d’autonomie et de droit de parole sur les conditions de socialisation se sont énormément renforcés. Dans l’éducation, les enfants sont autorisés à exprimer leurs opinions et leurs croyances. Les écoles ne sont plus aussi autoritaires qu’elles l’étaient à mon époque. Avec l’entrée dans le monde du travail, cependant, il y a une rupture massive. Il existe encore des zones résiduelles dans l’industrie, où la possibilité de prendre la parole est plus prononcée – mais dans le secteur du prolétariat de service, par exemple, rien de tel n’existe. L’opinion des gens n’est jamais requise ; il s’agit, simplement, de faire ce qu’on vous dit. La promesse politique, c’est qu’en tant que citoyen libre, vous pouvez, et même devez, participer à la démocratie ; de ce point de vue, le monde du travail est un monde alternatif. Et presque personne ne se demande comment ces deux mondes s’articulent réellement.
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