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Carlo Ginzburg en 2018 © Marika Puicher / Parallelozero

Carlo Ginzburg : “L’historien est un avocat du diable”

Carlo Ginzburg, propos recueillis par Philippe Garnier publié le 30 mai 2018 15 min

C’est l’un des plus grands historiens vivants. Son œuvre, traduite dans le monde entier, éclaire les vies minuscules de la Renaissance, hérétiques ou simples meuniers. Pour reconstituer le puzzle de leur existence, ce fils d’intellectuels antifascistes italiens se mue en véritable détective. Et comme tout bon enquêteur, il endosse aussi bien le point de vue de la sorcière que celui de l’inquisiteur. Avec, toujours, le doute comme arme et la quête de preuves comme horizon.

Que peut-on connaître d’un individu obscur, pauvre et illettré ayant vécu il y a cinq siècles ? Que peut-on savoir de ses représentations, de ses croyances, de ses désirs ? L’historien italien Carlo Ginzburg a mis au point des instruments d’une grande subtilité pour déchiffrer les consciences et les inconscients du passé. À une époque où ses confrères privilégiaient les données chiffrées et la vie matérielle, lui s’est consacré à l’étude de l’objet le plus difficile à atteindre : l’individu ordinaire, la victime oubliée. Sorcières, hérétiques, illuminés du XVIe siècle ont fait l’objet de ses premières recherches. Peu à peu, il a développé une science de l’interprétation des textes et des témoignages, basée sur le « paradigme indiciaire », où le contenu manifeste et le contenu latent des traces sont l’un et l’autre interrogés. En témoigne une série de livres marquants et traduits dans le monde entier : Les Batailles nocturnes, Le Fromage et les Vers ou Le Sabbat des sorcières. 

Ses recherches l’ont également mené du côté de l’histoire de l’art. Fidèle à sa méthode d’enquêteur, Ginzburg met au jour des significations culturelles aujourd’hui disparues mais indispensables à la compréhension de l’œuvre. Son attention aux détails l’amène à des éclairages parfois bouleversants : à partir du regard porté par un moine voyageur du XIIIe siècle sur la statuaire religieuse du sud de la France, il reconstitue un contexte où la représentation est en train de perdre sa fonction magique et où, du même coup, l’art au sens moderne devient possible.

Né en 1939 à Turin, il est le fils d’un héros de la résistance italienne au fascisme, Leone Ginzburg, et d’une écrivaine de grand renom et traductrice de Proust, Natalia Ginzburg. C’est après des études de philosophie à Pise, où il lit notamment Benedetto Croce et Antonio Gramsci, qu’il devient assistant puis professeur d’histoire moderne à l’université de Bologne. Enseignant à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) et à l’École normale de Pise, il est l’un des pionniers de ce qu’on appelle la microhistoire, qui repose sur l’étude de « cas » individuels plutôt que sur les descriptions de phénomènes de masse. 

Poser des questions au passé : telle est la technique élaborée par ce chercheur hors normes et homme d’engagement. Une technique qui permet aussi de répondre à bien des questions très actuelles.

 

Carlo Ginzburg en 7 dates

  • 1939 Naissance à Turin
  • 1961 Doctorat en philosophie à l’université de Pise
  • 1966 Parution des Batailles nocturnes
  • 1976 Parution du Fromage et les Vers
  • 1978 Professeur en histoire moderne pendant dix ans à l’université de Bologne
  • 1988 Professeur à l’Université de Californie à Los Angeles où il occupe une chaire d’étude de la Renaissance jusqu'en 2006
  • 1997 Parution du Juge et l’Historien. Considérations en marge du procès Sofri

Comment s’est déclarée votre vocation ? 

Carlo Ginzburg : Le contexte familial antifasciste de gauche dans lequel j’ai grandi a sans doute influencé ma décision d’essayer de devenir historien. Le premier livre d’histoire que j’ai lu – j’avais, je crois, 17 ans – a été l’Histoire de l’Europe au XIXe siècle [1932], de Benedetto Croce [philosophe et historien italien, fondateur du Parti libéral italien en 1922]. Ma deuxième grande rencontre intellectuelle a été [le philosophe marxiste] Antonio Gramsci. J’ai lu ses Lettres [1926-1937] et Cahiers de prison [1948-1951] qui venaient d’être publiés par Einaudi, la maison d’édition que mon père avait fondée avec Giulio Einaudi et où ma mère travaillait. Mais les livres qui m’ont donné l’impulsion définitive vers l’histoire ont été Les Rois thaumaturges [1924] et le Métier d’historien [1949] de Marc Bloch. Est-ce que la vie et la mort héroïques de Bloch ont contribué à mon choix [résistant, Bloch fut exécuté par la Gestapo en 1944] ? Peut-être. De toute façon, le travail empirique de Bloch et ses réflexions sur la méthode ont nourri mon travail jusqu’à aujourd’hui. Mes premières recherches ont porté sur des personnes accusées de sorcellerie au XVIe siècle. On m’a très vite fait remarquer qu’il y avait un lien entre ces victimes du passé et les Juifs persécutés pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est certain que le poids de mes origines a certainement eu un rôle dans ce choix de recherche. Mais je pense qu’il a joué d’autant plus profondément qu’il était inconscient, refoulé. 

 

Comment éviter de projeter son propre destin sur ce que l’on étudie ?

Toute histoire est histoire contemporaine. Il y a toujours une projection qui vient de l’origine, mais le travail de l’historien implique une mise à distance de cette origine dans un processus de va-et-vient qui s’étend sur une longue durée. Je vais utiliser pour cela deux catégories qui viennent de la linguistique : l’approche étique et l’approche émique (d’après les termes anglais de linguistique phonetics – le son dans sa réception acoustique – et phonemics – le son pertinent pour l’usager). Si l’on élargit ces catégories, l’approche étique utilise les catégories de pensée de l’observateur, l’approche émique, elle, reprend les catégories de pensée des acteurs eux-mêmes. La première, scientifique, transcende l’objet étudié, la seconde lui est immanente. Marc Bloch, par exemple, se demandait si l’on pouvait parler de classes au Moyen-Âge et disait : « Les chimistes ont été heureux parce qu’ils ont travaillé avec des éléments qui ne se nommaient pas eux-mêmes. » Or les historiens travaillent sur des éléments qui se nomment eux-mêmes… Ils sont tributaires de la façon dont les acteurs qu’ils étudient se définissent et se situent, tout en leur cherchant une autre définition, une autre situation. Comment surmonter cette difficulté ? Pour moi, l’idée de trajectoire est essentielle : on commence en tant qu’historien avec des catégories qui sont forcément anachroniques, ou, en tant qu’anthropologue, forcément ethnocentriques. Et c’est souvent au prix d’un effort philologique [l’étude par l’analyse des textes] au sens large, déjà proposé au XVIIIe siècle, que l’on parvient saisir les catégories des acteurs en tant que telles. Il y a ensuite un va-et-vient de longue haleine entre l’approche émique et l’approche étique. 

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