Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

© AL pour Philomag

Dans la ville blessée

Alexandre Lacroix publié le 02 décembre 2015 13 min

Les attentats du 13 novembre à Paris ont visé un quartier, autour de la place de la République, où vit notre directeur de la rédaction. Il est allé à la rencontre des habitants, ses voisins, pour recueillir leurs émotions, leurs questions, mais aussi leurs convictions, fermes et humanistes.

Une ville est dessinée par des architectes, mais elle reçoit son âme de ses habitants. Et, souvent, le caractère de cette âme échappe aux plans. Cette observation vaut pour la nouvelle place de la République, avec son esplanade piétonne de deux hectares, inaugurée en juin 2013. Elle avait été pensée par les architectes de l’agence TVK pour être ludique ; d’ailleurs, dans un premier temps, le kiosque prêtant des jeux aux enfants a été pris d’assaut, skateboards et rollers se sont emparés de l’espace. Mais cet usage léger, insouciant des lieux a fait long feu. Au lendemain des attentats du 7 janvier 2015, la statue de bronze de dix mètres de haut, façonnée par Léopold Morice en 1883 et représentant Marianne, a repris le dessus. La place fut l’épicentre de la manifestation qui a rassemblé un million et demi de personnes à Paris le 11 janvier. Pendant des mois, des passants ont déposé au pied du monument des bouquets, des bougies, des crayons, des lettres. La place est devenue le lieu de mémoire de Charlie et le symbole des valeurs républicaines, au premier rang desquelles la liberté d’expression.

Si l’on jette un coup d’œil à la carte des attentats du 13 novembre dans la capitale, un constat s’impose : les fusillades partent presque de l’ancien siège de Charlie Hebdo et décrivent un arc autour de la place de la République, enserrant ce lieu allégorique dans une courbe de feu. La place même était trop surveillée pour être frappée ; mais ses abords étaient vulnérables. Ainsi, les terroristes n’ont pas choisi leurs victimes – contrairement aux frères Kouachi qui voulaient décimer la rédaction de Charlie ou à Amedy Coulibaly qui s’en était pris à un hypermarché casher –, ils ont tiré à l’aveugle dans le but de meurtrir un quartier.

« Ces événements m’apprennent une chose, c’est que je veux vivre. Si longue, si courte sera ma vie, j’ai envie de la vivre intensément. »

Elena, 23 ans, apprentie comédienne

Ce quartier, j’y habite et, trois jours après la tragédie, je décide de partir à la rencontre des gens qui le font vivre, pour recueillir les voix de la ville endolorie. Devant une boulangerie près de la place, j’engage la conversation avec Elena. 23 ans, apprentie comédienne, elle habite elle aussi à deux pas. « Ces événements m’apprennent une chose, c’est que je veux vivre. Si longue, si courte sera ma vie, j’ai envie de la vivre intensément. Ce climat de terreur ne m’empêchera pas de m’attarder à des terrasses de cafés, d’aller à des concerts, de me réunir avec mes amis. Je n’ai pas envie de m’embarrasser de craintes, les fanatiques ne me feront pas modifier ma trajectoire. » Je reconnais, dans le discours d’Elena, la réalité du quartier : dans l’après-midi du samedi 14 novembre, alors que la préfecture de police recommandait de rester chez soi et que le président Hollande avait déclaré l’état d’urgence, les rues se sont réanimées, naturellement. Les terrasses des cafés de la rue de Bretagne se sont remplies. Paris m’a surpris par sa résilience – les gens reprenaient le fil brisé de leur quotidien, donnant l’impression que les kamikazes avaient frappé dans l’eau. Si l’on raisonne au niveau national, ces événements ne vont-ils pas avoir, tout de même, des conséquences plus néfastes ? « Le pays pourrait aussi évoluer dans le bon sens, réplique Elena. Si les gens prennent un peu de recul, ils comprendront que la meilleure chose à faire est de rester unis, le plus possible. Parfois, la solidarité s’impose. »

 

« Orienter les hommes vers la paix »

Rasséréné par cette fermeté, je gagne l’esplanade. Problème, les journalistes y sont omniprésents ; les chaînes du monde entier ont dépêché leurs équipes ; des tentes ont été dressées, sous lesquelles les présentateurs enregistrent leurs commentaires en continu. Breaking news. Comment recueillir une parole qui ne soit pas déformée par ce dispositif spectaculaire ? Je me mets à marcher vers Le Bataclan. Sur le chemin, le nom d’un bar m’arrête, Les beaux esprits se rencontrent. La promesse sera-t-elle tenue ? J’entre, commande un express. Mon voisin de zinc s’appelle Philippe, 59 ans, ex-consultant dans le bâtiment à la retraite. « Dans les grandes villes, remarque-t-il, il est devenu difficile de croiser le regard des gens. Ils sont trop préoccupés par leurs affaires, leurs yeux sont rivés sur leurs téléphones, leurs oreilles sont bouchées par des écouteurs. Mais j’ai remarqué ce matin qu’on croisait plus facilement les regards. Les gens cherchent un contact. Tout le monde est dans l’émotion. » Cela pourrait-il durer ? « Je crains que non, répond Philippe. Hollande a déclaré que nous étions en guerre. Cela me paraît excessif. Si c’était vraiment le cas, nous ne serions pas en train de bavarder vous et moi, la mobilisation aurait commencé. Nous sommes face à un phénomène traumatisant, mais il y a 65 millions de Français, et la probabilité de trouver la mort dans un attentat reste très faible. Parler de guerre, même s’il y a un peu de vrai, ce n’est pas malin. » Philippe laisse un silence. « Les politiques, selon moi, n’ont pas une bonne analyse de la nature humaine », lâche-t-il. Nouveau silence. Qu’entend-il par là ? « Le fond de l’homme n’est pas toujours très bon. Pour moi, le rôle du gouvernant est d’orienter les hommes vers la paix, en dépit de leurs travers. Dire qu’on va enlever leur nationalité à des citoyens ou renoncer à la présomption d’innocence, vous trouvez que cela va dans le bon sens, peut-être ? Pour l’instant, les gens avalent tout, d’abord parce qu’ils sont choqués et ensuite parce que ces mesures sont proposées par un gouvernement de gauche. Mais quand ils se réveilleront dans trois mois, ils comprendront qu’on leur aura volé quelques libertés au passage. » En écoutant Philippe, difficile de ne pas penser que les Français ont des représentants politiques moins clairvoyants qu’eux. « J’ai travaillé en Arabie Saoudite, ajoute-t-il. Dans ce pays, il n’y a pas de cinémas, pas de théâtres, toute vie sociale extérieure est prohibée. Vous pouvez faire tout ce que vous voulez, mais chez vous. À Jeddah, vous avez une magnifique corniche qui longe la mer Rouge. Pourtant, il n’y a pas un seul baigneur. On se baigne dans des espaces privés, les femmes tout habillées. Ce rigorisme a quelque chose d’excessif. Les islamistes ne comprennent pas nos terrasses de café, nos concerts de rock, nos stades. Ils ne voient pas qu’eux-mêmes sont dans l’excès. »

Expresso : les parcours interactifs
Mes amis, mes amours...
Notre amour peut-il aussi être notre ami (et inversement) ? Vaste question, qui invite à analyser le rôle de l'amitié dans les relations amoureuses.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
3 min
À Nice, le stade “UberPop” du terrorisme
Alexandre Lacroix 17 août 2016

L’attentat de Nice le 14 juillet dernier, sommet d’horreur qui a suivi la tuerie du Pulse à Orlando (États-Unis) et précédé de trois jours une…

À Nice, le stade “UberPop” du terrorisme

Article
5 min
Chris Younès : “La ville est un organisme vivant”
Octave Larmagnac-Matheron 25 janvier 2021

Alors que sous l’égide d’Anne Hidalgo, l’actuelle équipe de la mairie de Paris cherche à transformer durablement la capitale, par de grands…

Chris Younès : “La ville est un organisme vivant”

Article
5 min
Krzysztof Pomian : “Les musées orientent le regard de la société vers l’avenir”
Cédric Enjalbert 19 juin 2021

Ouverture de la Collection Pinault, réouverture du Musée Carnavalet, projet de création d’un musée-mémorial du terrorisme : le paysage muséal…

Krzysztof Pomian : “Les musées orientent le regard de la société vers l’avenir”

Entretien
16 min
Michael Walzer : “Il n’y aura pas de victoire finale contre la terreur”
Cédric Enjalbert 20 janvier 2016

À l’heure où la France s’engage dans une « guerre contre le terrorisme », le philosophe Michael Walzer, conscience critique de la gauche…

Michael Walzer : “Il n’y aura pas de victoire finale contre la terreur”

Article
3 min
Les hommes de la terreur ont-ils cessé d’être des kamikazes ?
Alexandre Lacroix 17 janvier 2017

Le mode opératoire des attentats de Berlin et d’Istanbul semble avoir évolué. Signe que la vocation au martyre perd du terrain et qu’une nouvelle stratégie se dessine ?


Le fil
4 min
Attentat de Vienne : la terreur sans refuge ?
Octave Larmagnac-Matheron 03 novembre 2020

« Dans ce pays qui se pensait à l’abri, c’est la sidération qui régnait mardi matin, alors qu’aucune menace précise contre l’Autriche ne semblait avoir…

Attentat de Vienne : la terreur sans refuge ?

Article
5 min
Attentats du 13 Novembre : ce que signifie réellement “témoigner”
Nicolas Gastineau 07 septembre 2021

Mercredi 8 septembre s’ouvre à Paris le procès des attentats du 13 novembre 2015. Des centaines de personnes vont défiler à la barre pour…

Attentats du 13 Novembre : ce que signifie réellement “témoigner”

Article
5 min
Les philosophes aux prises avec l’esprit du terrorisme
02 décembre 2015

Par ses origines révolutionnaires et régicides, le terrorisme a longtemps fasciné les philosophes, qui n’ont cessé de lui trouver des excuses…

Guide d’autodéfense contre le fanatisme

Article issu du magazine n°95 décembre 2015 Lire en ligne
À Lire aussi
2015 ou la marque du terrorisme
janvier 2016
Frédéric Gros : “Une guerre non pas conventionnelle, mais diffuse”
Par Martin Duru
décembre 2015
Etgar Keret : “Vivre avec le terrorisme, malgré lui”
Etgar Keret : “Vivre avec le terrorisme, malgré lui”
Par Cédric Enjalbert
décembre 2015
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Dans la ville blessée
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse