Dario Battistella : “La guerre semble modifier les rapports des Ukrainiens au politique”
Pour l’auteur de Paix et Guerres au XXIe siècle (Éditions Sciences Humaines, 2011), le conflit en Ukraine implique des coopérations entre citoyens, entreprises et élus locaux qui forgent un commun nouveau. Entretien.
La présidence ukrainienne ne fonctionne pas en vase clos. Le gouvernement est actif et le parlement poursuit ses délibérations. Est-ce que cela vous étonne ?
Dario Battistella : Non, le contraire aurait été une façon de souscrire aux accusations de la Russie. L’Ukraine serait elle-même devenue une autocratie. Cela n’a pas empêché le Kremlin d’assimiler le gouvernement de Zelensky à une bande de néonazis… Mais, face à un pays qui a maintenu le fonctionnement de ses institutions, cette accusation est encore plus absurde.
“C’est un processus classique inhérent à la guerre ; les voix dissidentes se taisent au nom de l’union sacrée”
N’y a-t-il tout de même pas moins de place pour le conflit dans l’espace des idées politiques ? Par exemple, les partis pro-russes ont été interdits dès mars par décision du Conseil de sécurité.
C’est un processus classique inhérent à la guerre ; les voix dissidentes se taisent au nom de l’union sacrée. Nous observions le même phénomène aux États-Unis au moment de la guerre contre le terrorisme. Dans l’histoire, bien des États ont même mené des guerres pour créer artificiellement une union nationale. La guerre devient alors le moyen de faire taire les dissensions internes ou de dissiper les troubles sociaux. Ce fut le cas avec la guerre des Malouines déclenchée par la junte argentine. Ou de l’Empire russe en 1904. Le tsar a déclenché un conflit contre le Japon pour mettre fin au mouvement pré-révolutionnaire, qui finira quand même par aboutir à la révolution de 1917. Cependant, à ma connaissance, aucune démocratie n’a volontairement déclenché une guerre pour des raisons internes.
Volontaire ou pas, la guerre ne coïncide-t-elle pas nécessairement avec une réduction des libertés politiques ?
Pas nécessairement, et cela dépend largement de la menace qui pèse sur l’intégrité de votre territoire. Nous faisons semblant d’ignorer que, depuis la fin de la guerre froide, les démocraties occidentales ont mené sept guerres, depuis le Golfe en 1990 jusqu’à l’intervention en Syrie et en Irak contre l’État islamique il y a quelques années. Est-ce que notre vie démocratique a été directement touchée ? Pas du tout. Si vous lisez Emmanuel Kant, Vers la paix perpétuelle (1795), il condamne la guerre surtout au nom des conséquences négatives pour la vie des citoyens eux-mêmes : la conscription, les taxes et les destructions, à une époque où les conflits armés sont nombreux en Europe. En dehors de l’Ukraine aujourd’hui, nous ne sommes plus dans cette configuration. La guerre, pour les démocraties occidentales, est désormais menée loin des territoires nationaux et par des militaires professionnels. Il n’y a plus de conscription en France depuis 1996 et depuis 1973 aux États-Unis. Les conflits armés n’ont plus d’impacts perceptibles sur notre vie démocratique, précisément parce que nous ne sommes plus attaqués sur nos territoires depuis la Seconde Guerre mondiale.
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