Dominique Bourg-Emmanuel Hache : ressources énergiques
Le philosophe Dominique Bourg et l’économiste Emmanuel Hache débattent de l’importance cruciale des politiques énergétiques et des mesures imaginables pour garantir l’habitabilité de la Terre.
Dominique Bourg : La sobriété énergétique n’est pas seulement l’effet momentané du coût du gaz ou de l’essence, elle est indissociable du climat. Or le lien est rarement fait de façon explicite par les politiques. Cette position court-termiste paraît difficilement compréhensible, car la question énergétique ne peut jamais être séparée de celle de la finitude. L’énergie, les êtres humains ne la produisent pas. Elle est constante dans l’Univers, on sait la capter, la transformer et la déplacer – toutes opérations qui exigent énergie et matériaux. Quand bien même on fantasmerait une source quasi infinie d’énergie, les matériaux qui nous servent à l’utiliser nous ramèneraient toujours à cette finitude.
Emmanuel Hache : Je suis d’accord, parler de « guerre énergétique », comme le fait le gouvernement, masque une autre guerre plus importante à mon sens : celle que l’on doit mener pour le climat. Le principal problème est que le politique se pose la question de savoir comment passer l’hiver, là où importent les dix, vingt ou cent prochaines années. Je vous rejoins complètement sur la finitude des ressources. On parle de sobriété énergétique sans penser au besoin de matériaux. Or il n’y a pas d’innovation technologique dans le domaine énergétique qui ne consomme pas de matériaux.
D. B. : Cet été, dans l’hémisphère Nord, on a été confronté à une hauteur d’événements extrêmes à laquelle on ne s’attendait pas du tout. On prévoyait ce genre de phénomènes, avec une élévation de la température d’environ 2 °C par rapport au début de l’ère industrielle, plutôt aux alentours de 2050. C’est donc très inquiétant. Ce qu’on attend du politique, c’est de l’anticipation, qu’il informe la population et recadre nos représentations.
E. H. : Une augmentation des prix du pétrole et du gaz survient pendant l’année 2022, et que fait-on ? On subventionne de manière massive, parce qu’on veut éviter l’explosion sociale ! C’est la politique du chaos satisfaisant des demandes de court-terme, sans se préoccuper des effets contradictoires d’une telle mesure au regard de l’impératif de réduction de la consommation d’énergies fossiles. Des outils macroéconomiques sont pourtant à la disposition des gouvernements. On pourrait imaginer des subventions beaucoup plus ciblées, concernant, par exemple, le prix de l’essence. Ce prix pourrait être progressif : on estime la quantité d’énergie essentielle pour la vie d’un ménage, et, une fois ce besoin dépassé, on met en place une augmentation progressive des prix. Aujourd’hui, le fait de penser en silo fait que certains s’intéressent au climat, au prix du gaz ou à la paix sociale, sans qu’il y ait concertation ni mise en place d’une logique commune.
“Le politique se cale sur les discours des plus délirants des industriels comme Elon Musk qui entretiennent l’illusion que la croissance va se poursuivre à l’infini”
D. B. : Cette idée de progressivité des prix est effectivement apparue dans la littérature depuis longtemps. Dans le sixième rapport du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat], en 2021, on parle déjà de « sufficiency », soit de sobriété économique. Mais le monde politique peine à tenir compte du discours scientifique ! Il se cale sur les discours, non pas du monde industriel en général, mais des plus délirants des industriels comme Elon Musk. Ces agents commerciaux de leur propre entreprise sont pourtant incapables de soutenir une idée d’intérêt général, ils ne veulent qu’entretenir l’illusion que l’aventure de la croissance va se poursuivre à l’infini.
“Les gouvernements créent des consommateurs ‘schizophrènes’, auxquels on envoie le message selon lequel il faut réduire leur consommation, tout en prônant la croissance”
E. H. : Les gouvernements créent des consommateurs « schizophrènes », auxquels on envoie le message selon lequel il faut réduire leur consommation, tout en prônant la croissance et en ne manquant pas de rappeler que les magasins sont ouverts le dimanche…
D. B. : Notre insatiabilité consumériste entre en contradiction avec ce que les écosystèmes peuvent supporter et nous amène à réduire franchement l’habitabilité de la Terre. S’il sera difficile de ne pas atteindre les 2 °C d’augmentation des températures au cours de ce siècle, il reste à notre portée de ne pas faire exploser la machine climatique. Mais rien n’est fait pour nous mettre sur ce chemin. On parle de la neutralité carbone en 2050… Le hiatus est énorme entre ce qu’on sait et ce qu’on fait, entre notre savoir et les décisions collectives adoptées. S’adapte-t-on vraiment aux conditions nouvelles dans lesquelles on va devoir vivre ?
L’Union européenne vient de classer le gaz et le nucléaire comme énergie verte. Dans cette tribune, le philosophe de l’écologie Dominique…
Alors que l’activité reprend, le recentrement de la Chine sur son marché intérieur et la hausse subite de la demande dans certains secteurs nous…
Comment mettre en pratique ses engagements théoriques en matière d’écologie ? Quelques réponses avec deux philosophes : Dominique Bourg, penseur franco-suisse, partisan d’une « écologie intégrale », et Peter…
Dominique Bourg et Luc Ferry sont philosophes et très au fait des enjeux écologiques. Mais, sur l’avenir du nucléaire, ils ne sont d’accord sur rien. Par-delà les chiffres d’experts, leur échange met en lumière les principaux clivages…
Si la question de la bombe atomique a fait l’objet de nombreuses interprétations philosophiques célèbres, celle – beaucoup plus large –…
Alors que la menace d’une escalade nucléaire dans la guerre en Ukraine n’a jamais été aussi élevée, nous avons demandé à Benoît Pelopidas,…
Avec la prise de conscience du réchauffement climatique, les économistes se voient mis au défi de prendre en compte la rareté des ressources naturelles. Mais comment estimer le coût d’une sécheresse, d’une tempête ou encore de la…
« Vous n’aurez même pas le temps de cligner des yeux ! » La menace formulée par Vladimir Poutine d’une attaque militaire et même…