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Un lanceur de missiles balistiques intercontinentaux Yars russe sur la place Rouge à Moscou (Russie), le 9 mai 2022. © Alexander Nemenov/AFP

Entretien

Benoît Pelopidas : “Envisageons que ce qui nous approche de la victoire ukrainienne augmente le risque nucléaire”

Benoît Pelopidas, propos recueillis par Martin Legros publié le 04 octobre 2022 13 min

Alors que la menace d’une escalade nucléaire dans la guerre en Ukraine n’a jamais été aussi élevée, nous avons demandé à Benoît Pelopidas, chercheur spécialisé dans la question de la dissuasion nucléaire et auteur de Repenser les choix nucléaires. La séduction de l’impossible (Sciences Po-Les Presses, 2022), de nous éclairer sur la réalité du danger. Il nous rappelle qu’il n’existe pas de protection contre une attaque nucléaire délibérée ou accidentelle, et que la stratégie de dissuasion nucléaire est fondée sur une série de « paris », qui misent sur la vulnérabilité comme condition de notre sécurité et concernent des facteurs excédant le contrôle… Ces paris supposent aussi qu’en cas d’ordre insensé donné par le sommet de l’État, les individus censés l’exécuter désobéiront. Pour Benoît Pelopidas, nous avons donc « le droit d’avoir peur et d’être conscient du danger », comme il l’affirme dans les pas de Günther Anders.

 

Avec la mobilisation “partielle” de 300 000 réservistes, associée au rattachement à la Russie par référendum des régions de Lougansk, Donetsk, Zaporijia et Kherson, et à une défense “par tous les moyens nécessaires” de l’intégrité de ces territoires s’ils étaient attaqués, Vladimir Poutine semble jouer son va-tout dans cette guerre. Est-ce que la menace d’une escalade nucléaire n’est pas montée d’un cran ?

Benoît Pelopidas : Comme je vous l’indiquais dans notre dernier entretien, il est essentiel de garder en tête toutes les vulnérabilités nucléaires lorsqu’on formule des jugements éthiques, politiques ou stratégiques. Cela consiste d’abord et avant tout à se rappeler qu’il n’y a pas de protection contre une attaque nucléaire délibérée ou accidentelle et que le pari de la dissuasion nucléaire n’est pas une promesse de protection. C’est un pari sur la vulnérabilité comme condition de la sécurité : dans ce pari, notre sort dépend intégralement de la volonté de l’ennemi et de l’avènement ou pas de frappes accidentelles ou non-autorisées. Dans ces trois cas, nous ne pouvons plus nous protéger.

“Le pari de la dissuasion nucléaire est un pari sur la vulnérabilité comme condition de la sécurité” Benoît Pelopidas

 

Et dans le conflit en Ukraine alors, qu’en est-il aujourd’hui ?

La question de l’évolution des possibilités d’emploi d’armes nucléaires avec l’évolution du conflit en Ukraine est souvent présentée comme une question factuelle à laquelle les experts doivent et peuvent répondre. Ce n’est pas le cas. Le prétendre est une usurpation de la responsabilité propre au politique qui décide en situation d’incertitude. Le champ des possibles que l’on s’autorise en la matière dépend de cinq jugements ou paris sur l’avenir, pas de jugements de faits. Les cinq jugements ou paris sont les suivants. Il y en a d’abord trois qui correspondent aux trois types de possibilité d’emploi des armes nucléaires : un emploi délibéré, un emploi accidentel ou non-autorisé et un emploi suite à une erreur de perception. Il y a ensuite un quatrième jugement sur la possibilité à venir d’une issue du conflit dans laquelle le dirigeant russe n’est pas humilié au point d’utiliser des armes tactiques – cela inclut le renversement du dirigeant russe ou son décès avant que la décision ne soit prise. Enfin, il y a un cinquième jugement sur la contrôlabilité de l’escalade une fois la première explosion nucléaire advenue. Je vais préciser cela en expliquant que, dans les médias, on entend abondamment un camp « rassuriste », qui présente une série particulière de réponses à ces questions, aboutissant à une impossibilité pratique de l’emploi des armes nucléaires, comme si elles étaient des vérités de fait. Ce camp affirme que Monsieur Poutine 1) bluffe et n’emploiera pas les armes nucléaires tactiques, 2) la seule désobéissance possible est celle qui empêcherait l’exécution de l’ordre si jamais celui-ci était donné. Ils postulent également qu’il n’y aura 3) pas de frappe accidentelle, inadvertante ou non-autorisée, mais ils en parlent peu. De ce fait, les questions de 4) la possibilité d’une issue non-humiliante pour la Russie, qui éviterait l’emploi d’armes tactiques, et 5) celle du contrôle de l’escalade, n’ont pas besoin d’être posées parce que le seuil nucléaire n’est pas franchi. Ceux qui tiennent ces propos vous diront qu’ils ne considèrent pas l’emploi délibéré ou accidentel comme impossible mais simplement comme peu probable. Mais si vous écoutez bien la suite de leur raisonnement, ces possibilités sont sur le plan pratique traitées comme n’advenant pas. Les trois premiers postulats suffisent à créer une illusion d’impossibilité pratique de l’escalade nucléaire qui égalise les capacités de destruction. Dès lors, il suffit de soutenir les Ukrainiens jusqu’à la victoire et cela ne comporte pas de risque nucléaire. Sur ce problème du rassurisme indu par la parole experte, le philosophe Günther Anders sera évidemment plus éloquent que je ne saurais l’être. Je lui cède la parole : « On ne peut en aucun cas légitimer les “clercs de l’Apocalypse” ni aucun groupe qui s’arroge le monopole de la compétence pour des actions qui pourraient entraîner la fin du monde. […] Le point où cela devient insupportable, cependant, est atteint quand ceux qui se targuent d’être plus compétents […] essaient de nous faire croire que nous n’avons ni le droit d’avoir peur ni celui d’avoir une conscience » (Günther Anders, Hiroshima est partout, 1982). Postuler des impossibilités est une manifestation de confiance excessive en notre contrôle sur les armes et l’escalade de la guerre. Modifions maintenant deux postulats sur les cinq, et le statut de la possibilité d’emploi d’armes nucléaires russes passe de l’impossible à l’inévitable… Si l’on suppose ainsi, en reprenant les postulats précédemment évoqués, que 1) il est possible que Vladimir Poutine ordonne l’emploi d’armes nucléaires tactiques, et que 4) toutes les issues au conflit sont si humiliantes qu’elles conduiraient le dirigeant russe à l’emploi de l’arme nucléaire tactique comme prévu dans le document de juin 2020 intitulé « Principes fondamentaux de la politique de l’État sur la dissuasion nucléaire » et signé par le président russe, alors ce qui nous approche de la victoire ukrainienne augmente également le risque nucléaire. Nous sommes alors face à un dilemme qui n’existe pas dans le schéma précédent. L’issue de ce raisonnement est double. Par souci de lucidité, il faut reconnaître que la confrontation armée avec un État doté d’armes nucléaires comprend des risques considérables qu’il est faux de nier, mais dont l’ampleur reste l’objet de paris qui doivent être clarifiés.

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