Arme nucléaire : “Vis-à-vis de la Russie, nous sommes dans un rapport du faible au fort”
Pour la première fois depuis des décennies, l’Europe est menacée par une puissance nucléaire. Une menace proférée par Vladimir Poutine, à plusieurs reprises, et qui inquiète tant sur le sol ukrainien qu’à l’Ouest de l’Europe. Que faudrait-il pour qu’une arme nucléaire russe soit effectivement utilisée ? Que prévoit concrètement la doctrine russe ? La France a-t-elle les moyens de rivaliser ? Jean-Louis Lozier, conseiller auprès de l’Institut français des relations internationales (Ifri), ancien chef de la division Forces nucléaires de l’État-Major des armées et ex-commandant de sous-marin nucléaire, nous livre son expertise pour éclairer ce moment de tension inédit.
Vladimir Poutine a brandi la menace nucléaire pour mettre en garde l’Europe contre une éventuelle escalade en Ukraine. François Hollande a déclaré que c’était du “bluff”. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Louis Lozier : Nous aurions tort de ne pas prendre au sérieux le président russe. Certes, Vladimir Poutine essaie de nous intimider, mais il est nécessaire de lui apporter des réponses mesurées et intelligentes. Lorsqu’une crise a une dimension nucléaire, ce qui est le cas actuellement suite à ses propos répétés, il faut faire très attention aux mots utilisés, car le but est précisément de tout faire pour s’en tenir à des paroles, et non à des actes, qui pourraient s’avérer apocalyptiques. J’ai été sidéré de voir la violence des termes utilisés mardi par Bruno Le Maire, qui parlait de « guerre économique totale » et « d’effondrement de l’économie russe ». Ce n’est pas raisonnable. Les cinq puissances nucléaires du Conseil de sécurité de l’Onu (Russie, Chine, États-Unis, Grande-Bretagne, France) sont toutes convaincues qu’il ne faut pas utiliser l’arme nucléaire, et cela inclut Vladimir Poutine. Mais le rapport de force existe. Aujourd’hui, nous sommes donc engagés dans un dialogue stratégique, ce que le général Beaufre appelait « la dialectique des volontés ». Il s’agit dans ce dialogue de faire comprendre à un adversaire quels sont nos intérêts et notre volonté à les défendre, et s’il avait la volonté de se muer en agresseur, lui signifier notre détermination à lui infliger des dommages absolument inacceptables s’il s’en prenait à nos intérêts vitaux.
“Nous aurions tort de ne pas prendre au sérieux le président russe. Poutine essaie de nous intimider, mais il faut lui apporter des réponses mesurées et intelligentes”
La doctrine nucléaire russe est exposée dans un document public, accessible à tous. Quelles sont ses grands principes ?
Cette doctrine, dont la dernière mise à jour date de juin 2020, présente l’arme nucléaire « exclusivement comme un moyen de dissuasion », donc défensif (article 5). Ce principe de base indique aux adversaires potentiels que la Russie essaie ainsi d’empêcher « une agression contre la Fédération de Russie ou ses alliés » (article 9). Mais cette doctrine ne s’arrête pas là. Les articles 17 et 19 précisent que la Russie se réserve le droit d’utiliser son arme, si elle se sent menacée, dans quatre cas précis :
1/ Attaque de missile balistique
2/ Attaque nucléaire ou d’armes de destruction massive
3/ Attaque sur des sites nucléaires russes
4/ Attaque « conventionnelle » « qui mettrait en péril l’existence même de l’État » russe.
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