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Illustrations © Mathieu Poupon pour PM

Récit

Custine : celui qui avait tout deviné de la Russie

Michel Eltchaninoff publié le 26 avril 2023 19 min

Au XIXe siècle, l’écrivain Astolphe de Custine visite la Russie, qu’il admire pour son conservatisme. Il publie à son retour un ouvrage qui fait sensation, La Russie en 1839. Alors que Vladimir Poutine entend perpétuer la tradition impériale de son pays, notre rédacteur en chef Michel Eltchaninoff, auteur de Dans la tête de Vladimir Poutine, invite à redécouvrir ce récit prophétique et son singulier auteur.

 

Imaginons un sympathisant français de la Russie de Poutine. Scandalisé par les désordres qui secouent son propre pays, irrité par les errances de ses dirigeants et les polémiques incessantes, favorable à un rapprochement entre la France et la Russie, ce conservateur modéré voit d’un bon œil cette nation rassemblée derrière son président, la fierté de son histoire et de ses valeurs. Pour conforter cet a priori favorable, il décide de passer quelques mois sur place. C’est exactement ce qu’a fait Astolphe de Custine (1790-1857) il y a un peu moins de deux cents ans. Mais il ne s’attendait pas à ce qu’il allait découvrir.

 

L’aristocrate qui aimait les hommes

Lorsqu’il entreprend son périple en 1839, Astolphe de Custine n’est pas un inconnu. Sa mère a longtemps été la maîtresse de Chateaubriand. Il connaît Balzac et Hugo. Ses réceptions sont fastueuses, et ses frasques scandalisent l’opinion. Il revient pourtant de loin. L’enfance du marquis de Custine a été marquée par les violences de la Terreur. Son grand-père et son père ont été guillotinés. Sa famille a perdu une grande partie de ses biens.

Astolphe, enfant mélancolique, solitaire et nerveux, est un traumatisé de l’Histoire, qui dissimule, des années durant, un secret : les jeunes filles ne l’attirent guère. Durant la restauration de la monarchie, convaincu qu’il ne sera « jamais heureux à la manière des autres », le jeune homme renonce à toute charge publique. Après s’être fiancé une première fois, il rompt brutalement, avant de trouver enfin une jeune fille à épouser. Mais le ménage se fait à trois, avec le compagnon britannique d’Astolphe, Édouard de Sainte-Barbe – avec qui il restera toute sa vie. La jeune mariée meurt. Custine est enfin libre de mener la vie qui lui plaît. Et elle n’est pas de tout repos. En 1824, le jeune aristocrate est retrouvé à moitié nu et couvert de blessures sur une route de la banlieue parisienne. On découvre bientôt la raison de l’agression. Astolphe avait un rendez-vous clandestin avec un soldat mais a été surpris par ses camarades de caserne qui décident d’infliger une correction au séducteur. Le scandale est immense dans le Paris mondain. Le faubourg Saint-Germain bannit le marquis, qui décide, en réaction, d’assumer son homosexualité.

Devenu riche après la mort de sa mère, il se met en ménage avec Sainte-Barbe. Ils reçoivent ensemble dans leur somptueux hôtel particulier de la Nouvelle Athènes, à Paris, ou dans leur maison de campagne. Ils ne sortent dîner chez les célébrités de l’époque que s’ils sont reçus tous les deux. C’est l’un des seuls couples ouvertement homosexuels de son temps. Custine décide sur le tard de devenir écrivain. Il n’a pas le succès escompté. Il se lance alors dans un genre qu’il veut réinventer, le récit de voyage individuel, dans lequel il révèle sa subjectivité, observe les hommes, tire les leçons politiques des pays qu’il visite. Après avoir publié L’Espagne sous Ferdinand VII en 1838, il rêve d’une expédition plus audacieuse. Il veut explorer la Russie.

 

Le Tocqueville de la Russie

C’est que Custine n’est pas le seul à raconter ses voyages. Alexis de Tocqueville, noble comme lui, vient de publier le premier tome de De la Démocratie en Amérique. Parti étudier cette jeune république, il y peint l’avenir des régimes européens. Il prophétise l’état du monde, partagé entre deux grands pays, l’Amérique et la Russie, qui ont « tous deux […] grandi dans l’obscurité » et « se sont placés tout à coup au premier rang des nations ». Le premier « a pour principal moyen d’action la liberté », le second « la servitude ». Selon Tocqueville, « leur point de départ est différent, leurs voies sont diverses ; néanmoins, chacun d’eux semble appelé par un dessein secret de la Providence à tenir un jour dans les mains les destinées de la moitié du monde ». Cette conclusion pique Custine. L’envie lui prend de vérifier cette prédiction, et de devenir ainsi le « Tocqueville de la Russie ».

“Cet empire colossal que je vois se lever tout à coup devant moi à l’orient de l’Europe, de cette Europe où les sociétés souffrent de l’appauvrissement de toute autorité reconnue, me fait l’effet d’une résurrection”
Astolphe de Custine

 

Il espère surtout y trouver autre chose que le rouleau compresseur égalitaire que son rival a entrevu outre-Atlantique. Face à cet « avenir américain tant promis à l’Europe », écrit Custine, il va chercher un remède au démocratisme occidental. Il reste en effet traumatisé par l’expérience révolutionnaire. À travers les régimes successifs qui, dans la France de la première moitié du XIXe siècle, ont installé un empire, une monarchie restaurée, puis parlementaire, le marquis, resté avant tout aristocrate, cherche un contre-modèle à ce qu’il appelle le « despotisme [né] de l’égalité universelle ». Face à une France sujette à des pulsions révolutionnaires, oublieuse de ses traditions et de sa religion, il place son espoir dans un régime chrétien et conservateur, la Russie du tsar Nicolas Ier : « Cet empire colossal que je vois se lever tout à coup devant moi à l’orient de l’Europe, de cette Europe où les sociétés souffrent de l’appauvrissement de toute autorité reconnue, me fait l’effet d’une résurrection. » À Tocqueville et à son démocratisme résigné, le défi est lancé. Custine, à l’orée de l’été 1839, embarque pour la Russie.

 

Rien Neva plus

L’arrivée dans la capitale de l’Empire russe, transférée au début du XVIIIe siècle par Pierre le Grand de Moscou à la ville nouvelle de Saint-Pétersbourg, n’est pas engageante. Le paysage russe, qu’il contemple à son approche, lui paraît fort morne. C’est « une lande humide, basse et parsemée à perte de vue de bouleaux qui ont l’air pauvre et malheureux. Ce paysage uni, vide, sans accidents, sans couleur, sans bornes et pourtant sans grandeur, est tout juste assez éclairé pour être visible ». Avant qu’on ne l’autorise à débarquer, des fonctionnaires zélés vérifient ses papiers, fouillent ses effets personnels et lui font subir « un long interrogatoire ». Ceci fait dire à Custine que l’étranger débarquant en Russie, « si on lui en veut, […] ne sera jamais en règle ».

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