Joanna Nowicki : “L’Europe centrale et orientale ne se voit pas comme une périphérie, mais comme le coeur même de l’Europe”

La loi visant à interdire la promotion de l’homosexualité en Hongrie est-elle le signe d’un conservatisme désuet ?

Joanna Nowicki : Cette question montre l’étonnement de l’Occident vis-à-vis de l’Europe centrale, souvent réduite à la problématique du conservatisme. Pourtant, il n’y a pas seulement dans cette loi des considérations politiciennes conservatrices, mais aussi un décalage temporel, une « diachronie européenne ». Les deux parties de l’Europe n’ont pas évolué au même rythme, certains débats qui ont déjà eu lieu en Occident n’ont pas encore eu lieu en Europe centrale. L’inverse est aussi vrai, certains sujets sont en avance à l’Est : c’est pour cela qu’il faut de parler de « diachronie » et non de « retard ». La tolérance vis-à-vis des minorités, en particulier concernant les mœurs, a été très débattue en Allemagne et en France : ce débat n’a pas eu lieu de la même façon dans les pays ayant été sous le joug communiste, parce que le communisme est une forme de nationalisme empêchant toute réflexion sur la place l’autre, de l’altérité. Au contraire, la question de l’identité n’est absolument pas un tabou à l’Est, alors qu’elle peut l’être ici.

“Pour certains, il existerait deux visions de la culture européenne, mais je crois plutôt que c’est un temps qui n’a pas été donné à l’Europe centrale pour faire murir certaines idées”
Joanna Nowicki

La sanction envisagée par Bruxelles à l’encontre de la Hongrie concernant cette loi est-elle le signe d’une guerre culturelle entre deux Europe ?

Sur les 27 pays de l’Union Européenne [UE], 17 ont signifié leur opposition à la Hongrie, tous d’Europe de l’Ouest. Au contraire, les pays qui ne se sont pas prononcés (Bulgarie, Croatie, Roumanie…) sont en Europe centrale. Une théorie est donc qu’il existerait deux visions de la culture pensant les valeurs européennes différemment, mais je crois plutôt que c’est un temps qui n’a pas été donné à l’Europe centrale pour faire murir certaines idées. Certes, il y a une idéologisation de la chose par les hommes politiques, Viktor Orbán notamment, pour incarner une forme de conservatisme. Mais il ne faut pas tomber dans l’amalgame, il serait injuste de qualifier toute l’Europe centrale de « bloc » unique et conservateur. Dans certaines sociétés, comme en Hongrie, il existe un fort courant pro-européen adhérant aux valeurs de l’UE. Sur ce point, je ne vois pas de différence avec la France : les deux camps, progressistes et conservateurs, existent ici aussi de façon très marquée.