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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Eduardo Viveiros de Castro en 2020 © Éric Garault

Eduardo Viveiros de Castro : “Pour les Indiens, quand un jaguar se voit dans le miroir, il voit un homme”

Eduardo Viveiros de Castro, propos recueillis par Martin Legros publié le 09 juin 2020 16 min

C’est l’une des figures les plus stimulantes de la pensée contemporaine. Après avoir séjourné longtemps chez les Indiens d’Amazonie et essayé de comprendre leur culture cannibale, le philosophe et anthropologue en est revenu avec la conviction que leur cosmologie est une ressource pour faire face à la crise écologique. Et une incitation à transformer notre rapport au monde. Nous l’avons interrogé de vive voix à Paris et en visioconférence à Rio de Janeiro, avant et durant la crise du Covid-19.

À l’heure où la déforestation de l’Amazonie prend des proportions gigantesques et où le Brésil est l’un des pays le plus frappés au monde par le Covid-19, nous avons voulu faire entendre la voix précieuse d’un grand philosophe brésilien et intellectuel engagé. Formé à la métaphysique occidentale, Eduardo Viveiros de Castro est allé en renouveler les concepts en s’immergeant dans la vie des Indiens d’Amazonie. Il s’est aperçu que ces derniers possèdent un authentique système de pensée, qu’il a choisi de nommer « perspectivisme ». Pour les Amérindiens, l’homme n’est pas le seul à être une personne au sens fort. Tous les habitants du cosmos sont des humains, sous le vêtement des espèces, des corps, des formes distinctes. Si l’on prend au sérieux cette proposition et qu’on essaie de réfléchir dans cette perspective, c’est un autre monde qui s’ouvre à nous, multiple, ondoyant, ver­tigineux. Mais c’est aussi une ressource essentielle, ajoute le philosophe, si l’on veut affronter la crise écologique dont l’origine est autant métaphysique que politique et économique.

Nous avons rencontré Eduardo Viveiros de Castro à Paris, au mois de février dernier, à l’occasion d’un colloque au Collège des Bernardins organisé par le philosophe Bruno Latour et le père Frédéric Louzeau sur les implications religieuses de la mutation écologique. Devant un aréopage de penseurs de l’écologie et de théologiens qui s’accordaient à reconnaître la sacralité de Gaïa et saluaient l’Encyclique du pape François, Laudatio si’ (« Loué sois-tu »), dans laquelle le chef de l’Église engage les catholiques à adopter une relation de fraternité avec la nature, il a rompu avec panache cette belle unanimité. Il s’est en effet présenté comme le porte-parole d’une communauté, celle des Indiens d’Amazonie, qui a été ravagée par des missionnaires catholiques, et comme le citoyen d’un pays au bord d’un effondrement écologique et d’un ethnocide mené en partie « au nom de Dieu ». Frappés par cette intervention, nous avons recontacté depuis le philosophe à plusieurs reprises pour qu’il nous expose sa vision de la crise sanitaire. Et pour qu’il nous explique pourquoi nous devons plus que jamais prendre au sérieux la métaphysique amérindienne. 

 

Eduardo Viveiros de Castro en 7 dates

  • 1951 Naît à Rio de Janeiro le 19 avril
  • 1976 Premier contact avec les Yawalapíti, peuple indigène du Haut-Xingu (Amazonie)
  • 1981 Premier séjour chez les Araweté, peuple tupi du Moyen-Xingu jusqu’en 1983
  • 1984 Professeur au musée national de l’Université fédérale de Rio de Janeiro
  • 1997 Professeur de la chaire d’études latino-américaines Simón-Bolívar à l’Université de Cambridge et directeur de recherche au CNRS jusqu’en 2001
  • 2009 Publie Métaphysiques cannibales (PUF)
  • 2020 Publie L’Inconstance de l’âme sauvage (Labor et Fides)

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux Indiens d’Amazonie ?

Eduardo Viveiros de Castro : Je viens d’une famille de la classe moyenne supérieure brésilienne, mon père était avocat, et j’ai étudié chez les jésuites avant d’entrer à l’Université catholique de Rio. L’enseignement religieux n’était pas le fort de ces institutions, heureusement. J’avais 18 ans en 1968, au pire moment de la dictature militaire. Les enseignants faisaient alors l’objet d’une chasse aux opposants. Plusieurs ont été jetés en prison. Beaucoup de mes camarades sont entrés dans la clandestinité, certains y sont morts. Pas moi, par manque de courage et par méfiance envers les projets révolutionnaires de prise de l’État. Je penchais du côté de l’anarchie. La gauche était alors divisée entre guérilleros et hippies, entre une gauche austère et populiste défendant les ouvriers et les paysans, mais prônant des mœurs puritaines, et une gauche internationaliste et anarchiste, ouverte à l’expérimentation plutôt qu’à la prise du pouvoir, au rock’n’roll, au sexe et à la drogue, et s’intéressant aussi aux Indiens. J’étais plutôt hippie. C’est l’une des raisons qui m’a fait choisir les Indiens comme sujet de travail et comme projet de vie. Je voulais fuir le Brésil, non pas vers l’extérieur comme certains y ont été contraints, mais vers l’intérieur. Or, à l’Université à cette époque, on ne parlait pas des cultures indigènes.

 

On ne parlait pas des Indiens ?

En cinq ans de sociologie et de sciences politiques, je n’ai pas eu un seul cours sur les peuples indigènes. Le marxisme était l’orientation dominante, on résistait contre une dictature sanguinaire, vassale des États-Unis. On parlait de la classe ouvrière, de la bourgeoisie nationale, de l’échange inégal, mais pas des peuples indigènes. Je suis tombé par hasard sur un professeur de sociologie de la littérature qui faisait lire Les Mythologiques de Lévi-­Strauss à ses étudiants. C’est donc grâce à un anthropologue français qui décryptait les structures des mythes de la pensée amérindienne que je suis entré en contact avec les indigènes de mon pays… Dans mon esprit, ils se réduisaient à des peuples exotiques en voie de disparition qu’on nous présentait dans les magazines. Ou à leur évocation comme symboles de la résistance anticoloniale dans l’œuvre de l’écrivain Oswald de Andrade [1890-1954], l’une de mes grandes influences. Jusqu’à ce que je commence un doctorat en anthropologie et que je parte à leur rencontre. 

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