Hortense Houpert, 23 ans, en M2 de philosophie : “Pendant le premier confinement, je faisais des crises d’angoisse et de paranoïa”

Isolement, ennui, manque d’accompagnement, détresse psychologique, difficultés économiques… Les étudiants ont été frappés de plein fouet par la crise sanitaire. Nous avons décidé de leur donner la parole pour faire entendre leurs souffrances, mais aussi leurs espérances et leurs conseils philosophiques pour affronter la pandémie.

Aujourd’hui, Hortense Houpert, en M2 de philosophie. Profondément ébranlée par le premier confinement, elle témoigne aussi de sa colère contre l’université, qui ne donne pas aux enseignants les moyens d’assurer leurs cours. Pour faire face à la crise, elle conseille la lecture de Hegel : comprendre que nous sommes embarqués dans le grand mouvement de l’histoire peut nous aider à relativiser.

Le témoignage de Hortense Houpert :

« Je m’appelle Hortense, je suis en dernière année de master à l’université de Nantes. Mon mémoire porte sur la philosophie en dehors de l’université, et plus précisément sur la philosophie populaire – par exemple, les événements ouverts à tous comme Les Rencontres de Sophie. Ce secteur a été très impacté par la crise sanitaire. Cela m’attriste particulièrement, car je suis passionnée par les médias et l’événementiel (je suis présidente d’une radio étudiante et associative, Prun’). Mais j’avais choisi ce sujet en connaissance de cause : pour montrer l’importance de ces lieux de philosophie qui sont fermés en ce moment.

Cela dit, mon mémoire n’avance pas beaucoup. Les mesures sanitaires m’ont beaucoup ébranlée. Sur une échelle de 1 à 10 en termes de détresse, je suis au-dessus de 10. Lors du premier confinement, j’ai tenu le coup, scolairement parlant, et j’ai obtenu mon master 1. Mais psychologiquement, je faisais des crises d’angoisse et des crises de paranoïa : je voyais des choses que je n’étais pas censée voir. J’étais très perturbée. Physiologiquement aussi : les deux premières semaines, j’avais des vertiges dès que je tournais la tête. Ça a été un choc – alors même que j’étais bien entourée, dans la famille de mon copain. Les profs aussi étaient désemparés. Je ne sais pas si ça nous a rassuré, ou l’inverse.

Mais c’était le premier confinement : la nouveauté rendait sans doute la situation plus facile à supporter. Le deuxième confinement a été assez terrible. La démotivation s’est transformée en agacement vis-à-vis de l’université et des institutions. Certains étudiants ne pouvaient pas assister aux cours en distanciel parce qu’ils n’avaient pas le matériel informatique nécessaire. C’est scandaleux. Cela dit, nous, étudiants, avons en quelque sorte intégré que nous sommes, « traditionnellement », dans une situation précaire. Les profs, c’est autre chose : c’est inacceptable que l’université ne leur fournisse pas le matériel dont ils ont besoin. Moi, j’ai des micros et un ordinateur de relativement bonne qualité, parce que c’est lié à mes passions. Mais les profs ne sont pas censés avoir ça. Bref, j’ai vraiment décroché pendant le deuxième confinement. Même si je n’allais pas bien, mes partiels se sont étrangement bien passés. J’ai retrouvé une certaine effervescence : le plaisir de réfléchir, de se frotter à la complexité. La motivation est donc un peu revenue depuis. Mon directeur de mémoire, très attentif à ses élèves, m’a aussi aidé à me ressaisir.

Le philosophe qui m’a aidé à traverser la crise, c’est sûrement Hegel ! Oui, c’est un peu étonnant. Mais j’aime cette idée qu’on trouve chez lui : l’important, c’est de continuer ; il ne faut pas que le mouvement s’arrête, y compris face au négatif ; le mot d’ordre, c’est la progression. Quoiqu’on fasse, il y a du mouvement, et nous sommes embarqués dans ce mouvement. Comprendre que les choses bougent sans nous permet de se délester d’une partie de la pression qu’on porte sur nos épaules. Ça incite, aussi, à se lier avec d’autres pour faire bouger les choses – parce que tout seul, on est impuissant. Hegel, c’est évidemment le grand penseur de l’histoire, mais je ne sais pas si j’ai eu le sentiment que nous vivions quelque chose d’historique. Objectivement oui, sans doute, même si beaucoup de discours nous disaient que “ça va passer”. Mais subjectivement, je ne l’ai pas ressenti, parce que je suis prise dans le mouvement. »