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Imre Kertész en décembre 2011 (cc) Blaues Sofa / Flickr

Imre Kertész : « L’écriture est un jeu mortel »

Imre Kertész, propos recueillis par Emese Varga publié le 04 juillet 2013 18 min

Il avait survécu aux camps de la mort et à l’oppression communiste. Affaibli par la maladie, le prix Nobel de littérature hongrois Imre Kertész est décédé le 31 mars 2016 à l'âge de 86 ans. Admirateur de Camus et traducteur de Nietzsche et de Wittgenstein, il revenait en 2013 sur son rapport à la vie et, pour la première fois, à la philosophie.

« Je tiens à faire avec vous un bel entretien, car ce sera probablement le dernier », annonce l’écrivain hongrois Imre Kertész, qui nous reçoit dans son appartement de Buda, quartier résidentiel de Budapest. Cette phrase testamentaire pourrait être macabre, mais rien de tel ; il a dans ses yeux deux flammes espiègles. Depuis une douzaine d’années, il est aux prises avec la maladie de Parkinson qui l’a contraint à renoncer à écrire et ne lui laisse que peu de moments de tranquillité.

Imre Kertész en six dates

  • 1929 Naissance à Budapest 
  • 1944 Déportation à Auschwitz à l’âge de 14 ans, puis transfert à Buchenwald 
  • 1945 Retour à Budapest 
  • 1948 Travaille dans un journal dont il est licencié trois ans plus tard, à cause de la censure 
  • 1975 Publication d’Être sans destin 
  • 2002 Reçoit le prix Nobel de littérature.

Né en 1929, Imre Kertész a été déporté à Auschwitz en 1944, puis transféré à Buchenwald jusqu’à la libération du camp en 1945. L’essentiel de sa vie d’homme, il l’a ensuite passé sous le régime communiste hongrois. Kertész a commencé à écrire au milieu des années 1950, mais il se trouvait dans une position doublement impossible. D’une part, après l’écrasement par les Russes de la tentative d’insurrection hongroise de 1956, la liberté d’expression était strictement encadrée et le travail intellectuel déconsidéré et surveillé. D’autre part, le sujet majeur de l’œuvre de Kertész – Auschwitz – était de ceux dont il ne fallait pas parler à l’époque communiste ; l’Holocauste était considéré comme dénué d’importance ou appartenant à un passé honteux. C’est donc à l’écart que Kertész a poursuivi son travail d’écrivain, publiant des chefs-d’œuvre comme Être sans destin ou Le Chercheur de traces, avec des tirages confidentiels. Cette lancinante privation de destin a subitement pris fin avec l’effondrement du bloc soviétique en 1989. Au cours des années 1990, l’œuvre de Kertész a été traduite dans le monde entier puis couronnée par le prix Nobel de littérature en 2002. Lors de son discours de Stockholm, Kertész a reconnu que sa propre histoire s’apparentait à une sorte de fable métaphysique, mais pour mieux nous mettre en garde contre l’illusion de la rédemption qu’elle semble contenir : « Il y a dans mon parcours, a-t-il affirmé, une chose qu’on peut difficilement penser sans être tenté de croire en un ordre surnaturel, une providence, une justice métaphysique, c’est-à-dire sans se leurrer, et donc s’engager dans une impasse, se détruire et perdre le contact profond et douloureux avec les millions d’êtres qui sont morts et n’ont jamais connu de miséricorde. »

Mais s’il est une dimension moins connue de son existence, c’est le rapport entretenu par l’écrivain avec la philosophie. Par passion mais aussi pour gagner sa vie, Kertész a traduit en hongrois de nombreux philosophes allemands, notamment Nietzsche ou Wittgenstein. La lecture de ces auteurs, jointe à celle de Camus et de Sartre, a constamment alimenté son œuvre. Kertész a répondu favorablement à notre demande d’entretien, précisément parce qu’il souhaitait prendre la parole sur sa relation –  intense et constante  – avec la philosophie.

 

Pouvez-vous retracer les grandes étapes de votre formation intellectuelle, qui ne s’est pas faite entre les murs de l’école ?

Imre Kertész : À la fin de la guerre, en 1945, je suis sorti du camp de Buchenwald pour revenir à Budapest. Mes proches avaient disparu, j’avais manqué deux ans de classe. J’avais 15 ans. Je ne savais rien, n’étais préparé à rien. J’étais pour ainsi dire livré à la vie. C’est seulement vers 1948 que j’ai commencé à comprendre, confusément, que le travail intellectuel m’attirait, tandis que le contexte devenait hostile à ce type de carrière. Les communistes ont pris le pouvoir en Hongrie en juillet 1948 et instauré une dictature totalitaire l’année suivante. De mon côté, j’avais commencé à travailler pour la presse, pensant que c’était un bon moyen de m’initier au métier des mots. J’étais mû par un véritable engouement et croyais de bonne foi que j’allais réussir dans cette voie. Mais au moment où les choses prenaient bonne tournure pour moi, la chape de plomb de la censure est tombée sur la Hongrie…

 

Ce qui explique que vous avez démissionné en 1951 de vos fonctions de journaliste.

En fait, j’ai été licencié, car je ne voulais pas relayer les nouvelles du Parti. Ce licenciement représentait vraiment une aubaine, car d’habitude les récalcitrants étaient soumis à des traitements bien plus brutaux. Les années de solidification de la dictature communiste ont été particulièrement pénibles ; ma première femme a pris des contacts pour émigrer, mais elle a été arrêtée et internée, sans aucun motif légal. Une paralysie s’est emparée de moi, qui a beaucoup retardé ma progression dans le domaine des mots. Si je ne parvenais pas encore à écrire, à parler mon propre langage, il y avait quand même un avantage à ma situation : j’avais énormément de temps libre. Je me promenais et je réfléchissais. Je suis conscient que c’est là un luxe difficile à imaginer pour certains, surtout de nos jours…

« Alors que les frontières se fermaient, j’avais le sentiment que quelque chose s’ouvrait pour moi »

Lorsque ma femme est revenue des camps d’internement, malgré la haine qu’elle ressentait à l’égard du nouveau régime et le désir farouche qu’elle avait de quitter le pays, elle s’en est remise à moi, c’est-à-dire qu’elle m’a demandé de prendre la décision de partir ou non. Et moi, comment expliquer cela… j’avais un sentiment contraire à celui des autres, aux forces de l’Histoire même… Alors que les frontières se fermaient, que la répression se faisait toujours plus sévère, j’avais le sentiment que quelque chose s’ouvrait pour moi. Je ne savais pas de quel monde j’avais besoin, ni ce que j’aurais eu à faire dans un tel monde, et pourtant quelque chose de l’ordre de l’ouverture était en train d’advenir. Je me suis mis à coucher mes réflexions sur le papier, sous forme de journaux intimes. Dans mes manuscrits de l’époque, deux voix se mêlaient : d’un côté, je savais que je ne voulais pas vivre dans ce contexte historique-là, que je haïssais de toutes mes forces la Hongrie communiste, mais de l’autre, je savais aussi que je devais y rester, car je devais maintenant rassembler toutes mes forces pour écrire un roman. Cette tâche m’appelait, et rien d’autre. C’est pour écrire Être sans destin que je suis resté en Hongrie ! Et le plus étonnant, c’est que j’ai pris une décision si grave, pour moi et pour ma femme, alors que je n’avais pas encore rédigé une seule ligne de mon roman.

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