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Jean Claude Carrière en 1989. © Pascal Victor/ArtComPress via Leemage

Entretien

Jean-Claude Carrière. Hommage à un sage… pas si sage

Jean-Claude Carrière, propos recueillis par Sven Ortoli publié le 09 janvier 2020 14 min

Jean-Claude Carrière est mort le 8 février 2021 à l’âge de 89 ans. Il y a un an, l’écrivain, scénariste et dramaturge amoureux de l’Inde nous accordait un entretien pour notre numéro hors-série consacré aux « Sagesses du monde » et à la puissance des contes. Il y confiait que la sagesse amène à prendre conscience de ce que l’on est. Et parce qu’il délivre une parole de vérité sous couvert d’invention, le conte est un vecteur idéal de sagesse ; le conteur est « un menteur qui dit vrai ». Pour lui rendre hommage, nous vous donnons à (re)lire cette rencontre avec un incomparable conteur d’histoires.

 

Que signifie la sagesse pour vous ?

Jean-Claude Carrière : Je ne crois pas, vous vous en doutez sûrement, qu’il y ait une sagesse : il y a des formes de sagesse, adaptées aux personnages, aux époques, aux conditions de vie, etc. Chacun peut avoir sa sagesse. Qui pourrait dire ce que c’est que d’être sage aujourd’hui, par exemple ? Est-ce d’aller manifester ? De rester chez soi ? On ne peut pas dire la sagesse. 

Traditionnellement, être sage, c’est accepter la mort sans trembler parce qu’elle est un phénomène naturel – mourir de manière apaisée, voire avec espoir, si l’on a l’esprit religieux. Mais il ne faut pas négliger la dimension de passivité, de soumission inhérente à cette posture. « Soyez sage », cela veut dire : « Silence, faites ce que l’on vous dit » ou encore : « Acceptez votre sort, votre place dans la société, sans protester ». Les dictatures en profitent, évidemment. Bref, la sagesse est un mot dangereux – pas si sage, au fond !

Si je voulais donner une idée plus personnelle de la sagesse, je dirais qu’il s’agit peut-être de prendre conscience de ce que l’on est – d’accepter que l’on n’est pas quelqu’un d’autre. J’ai une grande habitude de l’enseignement – j’ai fait une centaine d’ateliers partout dans le monde, de Pékin à Caracas, avec de jeunes scénaristes – et je vois à quel point il est difficile d’accepter d’être soi-même. Pour ma part, j’ai choisi de ne pas être metteur en scène mais d’écrire des histoires. Ce fut le grand choix de ma vie. « Sois sage », ce serait donc aussi : « Fais ce que tu sais faire, ce pour quoi tu es fait. »

 

Avez-vous regretté ce choix ?

Jamais. Sur mes premiers courts-métrages, j’étais coréalisateur. Mais à partir du Soupirant [film de Pierre Étaix (1963)], je suis resté au scénario. Et je me disais : le XXe siècle est le premier siècle dans l’histoire qui ait inventé un nouveau langage. Si nous étions à la fin du XIXe, nous n’aurions que le théâtre et la littérature. En peu de temps sont apparus le cinéma, la radio, la télévision… Et chaque nouvelle technique demandait un nouveau langage. Cela m’a fasciné, et me fascine toujours. Au fil de mon parcours, j’ai essayé de penser ce qu’est un langage à travers la technique. Le mystère des mystères, c’est que l’émotion puisse naître de la technique. Voilà le grand art du cinéma. 

 

Mais il s’agit toujours de raconter des histoires ?

Oui, mais tout dépend de l’image, des voix, du rythme, de qui l’on filme. Je dis toujours aux jeunes scénaristes : il faut connaître toutes les techniques du cinéma pour bien écrire. Connaître les lumières, savoir comment on tourne. Moi, par exemple, j’ai été monteur !

 

Jorge Luis Borges, grand passionné de récits, disait : « Peut-être que l’histoire universelle pourrait s’écrire comme l’histoire des différentes intonations d’une poignée de métaphores »…

Il m’a téléphoné un jour – il voulait me voir. Je suis allé le chercher à l’hôtel et je l’ai amené ici. Il était quasiment aveugle. Nous avons traversé la cour, et en entrant, comme s’il voyait, je lui ai dit : « Excusez-moi, la maison est en travaux… » Il a répondu : « Je comprends, c’est un brouillon. » Il ramenait tout à la littérature ! Pour lui, la littérature composait le monde.

 

Est-ce que, comme lui, vous avez le sentiment qu’il y a des structures que l’on retrouve partout dans les contes ? 

Je dirais d’abord que la sagesse populaire est toujours comique. Nasreddin Hodja, par exemple, est le personnage essentiel, du Maroc aux Indes. C’est Goha en Égypte. On en fait parfois un personnage religieux, surnommé « le mollah ». Pour d’autres, il était le bouffon de Tamerlan. C’est un personnage menteur, paresseux mais aussi malin, rusé. C’est le Sage ! Ses histoires sont parmi les plus belles du monde. C’est une sagesse qui n’est pas moralisatrice. Malgré tous ses défauts, il a la sagesse de savoir s’adapter à la réalité de la manière la plus habile. Ainsi, quand il était enfant, déjà très paresseux, son père devait le secouer pour qu’il se lève et aille à l’école. Et d’ajouter, comme pour convaincre son fils des vertus de se lever de bonne heure : « Regarde ce que j’ai trouvé sur le chemin : un portefeuille ! » Réponse de Nasreddin : « Celui qui l’a perdu s’était levé encore plus tôt que toi. » Autre histoire : « Y a-t-il deux catégories d’hommes ? », demande-t-on un jour à Nasreddin. « Oui : ceux qui croient qu’il y a deux catégories d’hommes et les autres. » Quelle malice ! Une dernière : à Bagdad, le sultan fait savoir qu’il offre quatre coffres remplis d’argent, des terres et une de ses filles à l’homme qui ira porter secours à son frère qui se trouve en danger dans les provinces du nord – une expédition dangereuse, semée d’embûches. Nasreddin quitte immédiatement sa boutique, court au palais, et arrive devant le sultan. Essoufflé, il lance : « Pas moi ! » N’est-ce pas sage ? 

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