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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Présentation du programme présidentiel de Marine Le Pen, samedi 19 novembre 2011, “Banquet des mille”, salle Équinoxe, Paris. 3 Janvier 2012 (cc) Wiki Commons / NdFrayssinet

À la recherche du nouvel ennemi

Michel Eltchaninoff publié le 24 avril 2014 17 min

Démocrates, élites, hordes étrangères ou traîtres intérieurs… la pensée fasciste a besoin d’un bouc émissaire. Traditionnellement, le Juif endosse ce rôle. Mais, depuis le 11-Septembre, un nouvel adversaire – le Musulman– est apparu, qui divise les droites radicales. Enquête.

De loin, c’est une soupe populaire comme les autres. Sur le parvis de la gare Montparnasse à Paris, une trentaine de personnes attendent en silence, à l’écart les unes des autres. Cinq minutes après 20 heures, une camionnette blanche surgit de nulle part. Quelques retraités installent prestement des tréteaux avant de sortir une énorme marmite fumante. Unique détail troublant : toutes les personnes présentes sont blanches et plutôt âgées – pas exactement le public habituel, plus mêlé, des repas gratuits. Nous abordons l’un des organisateurs, un vigoureux retraité au regard clair :

« C’est ici, la soupe au cochon ?

— Oui, regardez, répond-il avec malice.

Devant un air qu’il devine interloqué, il reprend, méfiant :

— Vous êtes qui ? »

Son regard se ferme et il ne prononce plus un mot. Les consignes semblent strictes. Mais une autre organisatrice, à quelques pas de là, explique posément à ses interlocuteurs que l’association SDF, qui propose tous les derniers lundis du mois ce repas qui exclut, de fait, musulmans et juifs pratiquants, signifie « Solidarité Des Français ». Cette discrétion s’explique par les polémiques soulevées depuis l’apparition de cette charité sélective. Initiées en 2004, ces « soupes gauloises », discriminatoires, ont été interdites par la préfecture, ce qu’a confirmé le Conseil d’État. Pourtant, elles existent toujours. Une version précédente, fin février, proposait, en pleine polémique autour de Dieudonné… de la quenelle. On peut lire sur le site de l’association : « Et pour les esprits mal tournés qui verraient là une quelconque tentative de résistance au Système, nous disons que la quenelle est un plat traditionnel de nos terroirs, comme la soupe au lard : aucune raison de remplacer tout ça par des boulettes et autres tajines. Restons chez nous ! » L’auteure de ces lignes, Odile Bonnivard, porte-parole de l’association, est affiliée au Bloc identitaire, pour lequel elle a été candidate aux législatives à Paris en 2007.

Ce mouvement, créé en 2003 sur les cendres d’Unité radicale, s’est transformé en parti en 2009, sur le modèle de la Ligue du Nord. Il se veut à la fois régionaliste et européen. Il vise autant un ancrage local qu’un rôle d’aiguillon intellectuel du Front national (FN) – dont il est proche, comme le confirme la présence de certains de ses membres sur des listes du FN aux municipales. Les membres de son mouvement de jeunesse, Génération identitaire, tout de jaune vêtus et portant un lambda majuscule en référence à Sparte, modèle d’instincts guerriers, parcourent ces derniers temps le métro de Lille pour des « tournées antiracailles ». À Metz ou à Lyon, ils organisent des stages d’autodéfense en plein air. Dans plusieurs grandes villes, ses « maisons de l’identité » organisent conférences et initiation aux langues régionales. Ils se disent adeptes de la théorie de la triple appartenance : « charnelle/régionale », « historique/nationale », « civilisationnelle/européenne ». Ils sont donc favorables au régionalisme et à l’Europe, mais hostiles à l’intégration nationale de personnes venues du Maghreb, car elles ne possèdent pas d’après eux d’ancrage national ni européen.

 

De l’Arabe au Musulman

Mais leur véritable ennemi n’est pas l’Arabe. Leur obsession propre n’est pas non plus le Juif, mais le Musulman. Sur le site Internet du Bloc identitaire, le « cinquième ennemi des identitaires » désigné est en effet l’islam, « religion conquérante qui ne vise que la soumission des non-musulmans à la charia. Or cette charia, loi civile et morale, est radicalement opposée à la mentalité européenne, précisément par l’absence de distinction entre le temporel et le spirituel, c’est-à-dire entre le politique et le religieux. En outre, le statut réservé à la femme par le Coran est incompatible avec la tradition européenne où les femmes ont été de tout temps déesses, saintes, héroïnes, combattantes et souveraines ». Conclusion nette : « Tel qu’il est prêché et pratiqué, l’islam comporte de nombreux éléments en contradiction profonde avec notre culture et notre tradition. » Conséquence pratique tout aussi évidente : pas de soupe pour les sans-abri musulmans.

Cette haine des musulmans, parfois appelée islamophobie, a pris une ampleur sans précédent depuis les attentats de 2001 à New York, de 2004 à Madrid et de 2005 à Londres. De plus en plus d’essayistes n’ayant rien à voir avec le fascisme, d’Oriana Fallaci en Italie, prophétesse en la matière au début des années 2000, à Thilo Sarrazin en Allemagne, auteur en 2010 du best-seller L’Allemagne disparaît (traduit aux Éditions du Toucan en 2013), ont banalisé un discours critique et sans complexe sur la religion musulmane. Des leaders de partis populistes dans toute l’Europe, de mouvements d’extrême droite, mais aussi de nombreux représentants de la droite classique, se sont emparés de cette nouvelle passion nourrie de fantasmes : la peur du musulman venu dénaturer notre mode de vie et imposer subrepticement, en pleine Europe chrétienne, la loi islamique. Si ce sentiment et ce discours antimusulman ont pris une telle ampleur dans nos sociétés, touchant des citoyens de toute obédience politique, c’est qu’il sert d’exutoire aux turbulences sociales liées à la mondialisation, aux flux migratoires, au retour du religieux. Et s’il est relayé avec autant d’enthousiasme par certains hommes politiques, c’est qu’il est bien plus pratique à manier que la xénophobie ou l’antisémitisme des décennies précédentes – tout en jouant sur les mêmes ressorts de la peur, de la simplification et du rejet. Tout d’abord, il est plus difficile de condamner pénalement les propos antimusulmans – la religion n’étant pas une donnée ethnique et le droit au blasphème distinguant une démocratie libérale d’un régime religieux. « Nous ne sommes pas en Libye ou au Pakistan », se plaisent à clamer les anti-islam pour justifier leurs critiques à l’encontre d’une religion. Sans oublier la petite griserie de la revanche face à un discours antichrétien banalisé. Ensuite, ceci permet à certains partis d’extrême droite, rejetés hors du camp républicain depuis des décennies, comme le Front national en France, de revendiquer l’héritage de la république et de la laïcité contre les « dérives communautaristes ». Du coup, des partis naguère composés de nostalgiques militarisés de l’OAS, d’antisémites fanatiques, de groupuscules néofascistes et de catholiques intégristes peuvent se transformer en grands rassemblements. Ces partis dits populistes revendiquent un sursaut républicain et national contre des politiques jugés incapables de comprendre les dangers de l’intégrisme et la peur des citoyens de voir leur environnement s’islamiser. D’ailleurs, ce sont les intégristes musulmans que l’on accuse désormais de « fascisme ». La montée en puissance du bouc émissaire nommé islam a été la condition nécessaire d’un hold-up sur la mémoire républicaine. Comme nous l’a confirmé l’historien des génocides Jacques Sémelin, auteur notamment d’une remarquable étude, Persécutions et entraides dans la France occupée (Les Arènes-Seuil, 2013), « l’homme en trop d’aujourd’hui, la crise aidant, ce n’est plus le Juif, mais le Musulman, cet “Autre” que nous parons de tous les vices ».

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