L’Ange de l’Histoire

Enzo Traverso publié le 4 min

L’historien Enzo Traverso explique pourquoi les thèses de Walter Benjamin, longtemps ignorées, permettent de mieux comprendre notre présent tiraillé entre matérialisme et messianisme.

Il aura fallu plusieurs décennies pour que les thèses de Walter Benjamin, développées dans Sur le concept d’histoire, soient reconnues comme l’un des textes majeurs de la pensée critique du XXe siècle. Parvenues miraculeusement aux États-Unis grâce à Hannah Arendt, elles firent l’objet d’une première édition confidentielle, en allemand, par l’École de Francfort, alors en exil à New York. Lorsque Sartre les publia en français dans Les Temps modernes, en 1945, elles passèrent totalement inaperçues. Dans le climat euphorique de la Libération, une vision de l’histoire comme catastrophe était difficilement irrecevable. Leur redécouverte – parallèlement à celle de leur auteur – fut plus tardive. Elle commença dans les années 1950, en Allemagne, puis se propagea dans le monde entier, jusqu’à leur canonisation, à partir des années 1980, qui en fait aujourd’hui l’un des classiques de la philosophie.

«Si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront pas en sûreté. Et cet ennemi n’a pas fini de triompher»

Walter Benjamin

Il ne fait pas de doute que ce texte énigmatique et puissant porte les traces du contexte dramatique, littéralement apocalyptique, qui le vit naître. Benjamin l’acheva à Paris, au début de 1940, pendant la « drôle de guerre », peu après son internement dans un camp pour « étrangers indésirables ». Sa position d’exilé était devenue de plus en plus précaire. Du coup, tout son texte est hanté par le pressentiment d’une catastrophe imminente, inéluctable. En effet, il résume une réflexion plus ancienne, mais le besoin de l’écrire vint au début de la guerre, au lendemain du pacte germano-soviétique que les exilés antifascistes perçurent comme une trahison et qui faisait apparaître l’Europe comme un continent serré dans un étau totalitaire. Tout était menacé : « Si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront pas en sûreté. Et cet ennemi n’a pas fini de triompher. »

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