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Situé en périphérie du Luc, le foyer de l’association Accompagnement Promotion Insertion (API) en Provence héberge une trentaine de réfugiés et de demandeurs d’asile. © Philippe Conti

Les réfugiés, le maire frontiste et le bistrot du coin

Michel Eltchaninoff publié le 28 novembre 2018 15 min

Depuis près d’un an, une trentaine de demandeurs d’asile sont accueillis dans le bourg varois du Luc en Provence. Après une vive polémique lancée par le maire, membre du Rassemblement national, tout se passe sans heurts. Pourquoi un tel décalage entre les discours alarmistes et la réalité ? Parce que, dans cette ville désertifiée, l’idéologie a remplacé la discussion publique.

C’est une ville que l’on traverse, mais où l’on ne s’installe guère, disent ses habitants. La vénérable nationale 7, qui relie Paris à Menton, la fend en deux. Quant à l’autoroute, elle passe juste au-dessus. Ceux qui l’empruntent n’ont souvent même pas le temps de remarquer l’existence de ce bourg de 11 000 habitants, en bordure de la plaine des Maures. Pas touristique pour un sou, Le Luc en Provence. Et presque vide, ce matin. À la terrasse du Brazza, en face de l’église, des vieux Maghrébins, appelés il y a plusieurs décennies pour travailler dans les mines de bauxite aujourd’hui fermées, semblent somnoler. Leurs enfants et petits-enfants discutent doucement. Seul un enterrement apporte un peu d’animation. Même la navette municipale ne circule pas ce jeudi. Plusieurs maisons du centre, aux façades fatiguées, sont à vendre. Les boucheries, les charcuteries, les poissonneries, les magasins de sport, les seize restaurants, les quatre hôtels ont tous fermé. Sur cinq boulangeries-pâtisseries hier, il en reste deux. Et en ce qui concerne l’alimentation, il n’y a plus qu’un petit Casino et un magasin de déstockage. Pour trouver un peu d’animation, il faut sortir du centre et se rendre dans la zone commerciale de la route nationale ou à l’hypermarché Leclerc, dont les entrepôts emploient de nombreux Lucois. C’est à cet endroit, victime, comme tant d’autres, de la désertification des centres-ville, de la désindustrialisation, familier d’une immigration maghrébine déjà ancienne, que se joue depuis plusieurs mois un drôle de drame, une drôle de guerre. Un conflit où, plus on a du mal à identifier les belligérants, à circonscrire un champ de bataille, à comprendre les enjeux des uns et des autres, à observer des rencontres et des discussions effectives, plus le discours idéologique, détaché de la réalité, enfle et emporte tout. Dans Les Origines du totalitarisme (1951), la philosophe Hannah Arendt définit l’idéologie comme « la logique d’une idée », n’obéissant qu’à son exposition rationnelle et cohérente, tout en restant totalement imperméable aux méandres de ce qui existe effectivement – un langage en vase clos, en quelque sorte. Et c’est effectivement un gouffre béant entre discours idéologique et réalité vécue que l’on découvre ici. 

 

La grande peur des « envahisseurs »

L’espace public du Luc devient de plus en plus virtuel. Une bonne partie des discussions se tient sur les réseaux sociaux. Le dernier marchand de fruits et légumes du centre, par exemple, ne parle plus au maire ni à sa femme – qui ne le saluent pas plus quand ils passent devant sa boutique. Mais ils polémiquent sur Facebook. Il faut savoir que Le Luc est dirigé par un maire, Pascal Verrelle, membre du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen. Il a même été récemment élu au Conseil national du parti. Depuis près d’un an, il a initié une polémique. À la fin de 2017, la préfecture l’a en effet prévenu qu’une trentaine de demandeurs d’asiles et de réfugiés allaient être logés dans le bâtiment d’un quartier périphérique de la commune. Pascal Verrelle a alors fait circuler une pétition intitulée « Non à l’installation de migrants au Luc en Provence ». Il l’a accompagnée de ce message sur Facebook (le 2 décembre 2017) : « Chers Amis Lucois, y écrit-il, le lieu pour “accueillir” ces clandestins venus de pays qui ne sont pas en guerre, mais qui veulent profiter des largesses de nos dirigeants, est l’endroit le plus mal choisi du Luc. Dans un quartier qui se radicalise un peu plus chaque jour avec une très forte majorité de personnes issues de l’immigration. Ces jeunes gens en pleine santé et en possession de tous leurs moyens vont “partager” les locaux du foyer API [acteur régional de l’insertion par le logement] avec des vieux Chibanis [en arabe, “cheveux blancs”] calmes n’ayant jamais posé souci et qui, j’en suis certain, vont se faire racketter par cette “armée d’occupation” que nous sommes forcés de recevoir. » La pétition a recueilli à ce jour près de 1 700 signatures. Et occupé les esprits pendant des mois.

Sur la page Facebook du maire, les photos de cérémonies de commémoration, de fêtes brésiliennes ou disco alternent avec les messages consacrés à « ces gens [qui] font peur et [qui] sont sources de conflits partout où ils sont imposés ». C’est peu dire que ces propos sont hostiles : « Devons-nous attendre qu’ils tuent un policier ou un gendarme pour foutre ces racailles dehors ? » (12 mai) ; « En plus d’envoyer des soldats et des terroristes en Europe, l’objectif est de conquérir l’Europe d’une autre manière, plus pacifique » (24 juin) ; « Le Rassemblement national s’oppose à la colonisation de nos villages ! » (12 septembre). La peur d’une menace sexuelle est récurrente dans ces messages, qui rapportent régulièrement des faits divers ayant eu lieu en Allemagne, pays repoussoir, aux yeux du maire, quant à l’accueil des réfugiés : « Les migrants ne sont pas tous les gentils “réfugiés” que l’on veut nous faire croire. Ce sont pour beaucoup des jeunes prédateurs migrateurs venus du Moyen-Orient et de l’Afrique subsaharienne, appâtés par les richesses et un mode de vie européen que certaines organisations leur ont fait miroiter. Une grande partie d’entre eux arrive seuls, et pour un certain nombre, ce sont déjà des criminels, comme certains migrants du camp de Grande-Synthe près de Dunkerque, qui avaient organisé le viol des femmes, leur prostitution, et le viol des enfants dans les toilettes la nuit, à tel point que la direction du camp en avait fait suspendre l’usage, pendant la nuit » (12 août) ; « Les femmes, nos femmes sont en danger avec ces individus d’un autre continent, ces gens pour qui la femme est moins que rien, une chose, un esclave ! » (6 décembre 2017). Le maire s’en prend également à ceux de ses administrés qui protestent contre sa campagne anti-réfugiés : « Pour les Lucois, s’il y en a, qui regrettent d’avoir signé la pétition s’opposant à la venue de migrants, qu’ils aillent jusqu’au bout de leur logique et qu’ils en accueillent un ou deux, voire plus si affinités, chez eux ! » (22 août). On comprend pourquoi certains, ici, ne se parlent plus.

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Article issu du magazine n°125 novembre 2018 Lire en ligne
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