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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Vue de la Chapelle de l’humanité. Le buste d’Auguste Comte, sous le portrait de Clotilde de Vaux. © Michel Eltchaninoff

Les Templiers de la Raison

Michel Eltchaninoff publié le 21 mars 2023 4 min

Dans son billet du jour, Michel Eltchaninoff raconte sa visite d’un lieu secret en plein Paris : la Chapelle de l’Humanité. Érigée selon les principes du philosophe Auguste Comte, on y rend un culte à la Raison et au Progrès. Mais quelle mouche mystique a donc bien piqué ce chantre de l’esprit scientifique pour créer ce qui a tout l’air d’une nouvelle religion ?


« Au cœur du quartier du Marais, à Paris, se niche un lieu secret : la Chapelle de l’Humanité, où l’on rend un culte à la Raison et au Progrès, mais aussi à l’industrie, au prolétariat, à la sociologie et à l’éternel Féminin, sans oublier le grand fétiche. J’y étais hier soir.

Pour accueillir dignement nos collègues berlinois de Philosophie Magazin (quoi, vous ne saviez pas, lecteurs germanophones, que nous avions une sœur en Allemagne, avec sa rédaction et ses articles propres ?), nous nous sommes donc retrouvés autour d’un verre dans l’un des lieux les plus étonnants de Paris. J’en avais entendu parler, mais je ne savais pas comment le visiter. Il s’agit de la Chapelle de l’Humanité, érigée suivant les principes du philosophe français Auguste Comte (1798-1857), dont le buste surmonte, dans le chœur, un reliquaire abritant son Catéchisme positiviste. La nef est bordée de portraits de grands hommes qui ont fait l’honneur des sciences, des arts, de la pensée, de la spiritualité et de la politique : Moïse, saint Paul, Charlemagne, Dante, Napoléon, Aristote, Descartes, ou encore la pure Héloïse, amour contrarié du penseur médiéval Abélard… On y célèbre le triptyque “Patrie, Humanité, Famille”, le couple “Ordre et Progrès”… Des maximes morales, sonnant étrangement à nos oreilles, ornent les murs et les stèles : Sacerdoce, Sociologie, Morale, Logique, Prolétariat. J’ai particulièrement apprécié, sans rien y comprendre, “Patriciat [j’avais d’abord lu ‘Patriarcat’], Femme, Fétichisme”. C’est que ce culte est dominé par la figure virginale de la grande amoureuse platonique du philosophe, Clotilde de Vaux.

Et je me suis demandé : comment le fondateur d’un mouvement qui a longtemps survécu à Auguste Comte et qui prône une vision strictement scientifique du monde a-t-il pu donner naissance à ce culte crypto-religieux ? Je me suis rappelé mes lectures de ce polytechnicien, notamment le Cours de philosophie positive. Pour Comte, nous nous sommes fourvoyés dans des explications théologiques et métaphysiques du réel. Avec les premières, nous avons cru découvrir les principes de toutes choses dans la volonté ou l’action de divinités diverses. Avec les secondes, des principes abstraits– comme la substance ou la liberté – grâce auxquels nous avons déchiffré toutes choses. Mais l’homme du XIXe siècle doit, selon le philosophe, accéder à l’âge positif – ou scientifique. La véritable approche rationnelle n’a pas besoin de rechercher l’origine des phénomènes mais doit se concentrer sur les lois qui les régissent. Il faut passer du “pourquoi” enfantin au “comment” des savants et des ingénieurs. Ce positivisme a eu une influence énorme sur la pensée contemporaine. Il suffit de penser au positivisme logique, ou encore au positivisme juridique du XXe siècle.

Qu’est-il donc arrivé à Auguste Comte pour vouloir créer, quelques années après avoir rédigé ses sévères traités de philosophie scientifique, une nouvelle religion ? Délire causé par la disparition de Clotilde de Vaux ? Volonté de rendre leur pur amour éternel en lui vouant un culte fondé sur le dévouement désintéressé, l’exaltation de la femme et l’amélioration du sort des humain ? La cause est à mon avis plus profonde.

À la même époque, l’Allemand Ludwig Feuerbach explique dans L’Essence du christianisme qu’il faut ramener l’élan religieux vers la transcendance à une adoration de l’humanité dans son ensemble. Comte prétend, lui aussi, supprimer l’aliénation religieuse à un Dieu lointain, la soumission à l’Église, l’espoir d’une vie meilleure après la mort, pour adorer le progrès scientifique, technique et moral de la Modernité. Ceux qui expriment le mieux ce besoin d’une religion de la raison sont des révolutionnaires russes. Au début du XXe siècle, constatant l’échec de leurs élans révolutionnaires, des bolcheviks, dont l’écrivain Maxime Gorki, créent le mouvement des “constructeurs de Dieu” – ce Dieu étant l’humanité exploitée enfin consciente d’elle-même. Même si ce courant a été rapidement marginalisé par Lénine, le désir de religion semble hanter les tenants de la rationalité historique.

Tout ceci nous paraît lointain, et un peu folklorique (suivez notre guide pour une visite des lieux de Paris qui conservent la trace d’Auguste Comte). On n’officie plus dans la Chapelle de l’Humanité parisienne. Cependant, il me semble qu’une question essentielle demeure en suspens. C’est celle de notre adhésion à la raison. L’inscription de tous les phénomènes dans une chaîne rationnelle répond-elle, en dernière instance, à autre chose qu’une croyance ? Même le rigoureux Edmund Husserl, fondateur de la phénoménologie, dans une note de son cours de 1905 sur Chose et espace, le suggère lorsqu’il écrit : “La rationalité qui réside dans l’enchaînement d’apparitions effectif et possible, et qui rend possible l’unité stable de la chose et du monde, cette rationalité serait un fait irrationnel.” L’interrogation est trop complexe pour être tranchée dans l’espace de ce petit texte. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas prêt à aller adorer l’Humanité, la Femme ou le Progrès dans un temple positiviste. Mais pour continuer à me triturer l’esprit sur une question aussi cruciale que celle de ce qui nous attache à la raison, je veux bien retourner dans cette drôle chapelle. »

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