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Le philosophe André Comte-Sponville. © Luc Nobout/IP3/Maxppp

Dossier / “Peut-on être lucide et heureux ?”

André Comte-Sponville : “Il est trop facile de n’aimer que les vérités agréables et rassurantes”

André Comte-Sponville, propos recueillis par Alexandre Lacroix publié le 07 juillet 2022 17 min

André Comte-Sponville n’a eu de cesse de questionner les rapports entre le bonheur et l’absence d’illusions. Une réflexion liée à son histoire intime. À l’heure où les crises se succèdent à vitesse accélérée, le philosophe émet une théorie aussi stimulante que paradoxale : pour vivre heureux, abandonnons tout espoir !

 

S’efforcer de voir les choses telles qu’elles sont, et non telles qu’on voudrait qu’elles soient : tel est depuis toujours le projet de la tradition philosophique. En mettant de côté nos passions et nos intérêts, en exigeant une clarification des termes du langage courant, en se méfiant des opinions et des idées reçues, en privilégiant l’argumentation rationnelle, la philosophie fait l’éloge de la lucidité. Seulement voilà : le bonheur en serait-il la victime collatérale ? C’est la question que l’on peut se poser, surtout aujourd’hui où porter un regard lucide sur le monde revient souvent à s’infliger une épreuve. Nous vivons sous la menace d’une catastrophe écologique, la guerre fait rage en Ukraine, la politique est un royaume désenchanté, la traversée de la pandémie a laissé nos économies exsangues, et tous les observateurs redoutent une poussée inflationniste sévère cet automne… Dans ces conditions, tenir les yeux grands ouverts, n’est-ce pas se condamner au pessimisme et se couper de toute légèreté ? N’est-ce pas assombrir son existence ? Et comment trouver le bonheur, si l’on est conscient que le monde va mal et que nous nous y trouvons vulnérables et mortels ?

Quand nous nous sommes attelés à ces questions éminemment liées à l’esprit du temps, nous nous sommes aperçus que l’un des philosophes français les plus connus n’a eu de cesse de s’interroger sur les rapports entre l’absence d’illusion, la tristesse et le bonheur : c’est André Comte-Sponville, qui traite de ce sujet depuis la parution de son premier livre, Le Mythe d’Icare, en 1984. Sa réflexion, comme on le découvrira dans l’entretien qui suit, est profondément liée à son histoire personnelle. Elle oriente aussi sa lecture des classiques, comme Montaigne, Pascal ou Marx. Et, de fait, l’entretien qu’il nous a accordé se présente comme une leçon inspirée, avec une thèse aussi étonnante que stimulante : le véritable secret du bonheur n’est autre que le désespoir, et c’est ce qui le rend compatible avec la lucidité. Voici un paradoxe qui mérite d’être démontré !

 

« Le soir tombe, et je ne sais quelle tristesse monte et me submerge, comme une mer ancienne et toujours recommencée… », écrivez-vous dans Le Goût de vivre (2010). L’évocation de la mélancolie, du spleen est récurrente dans vos écrits. D’où vous vient cette tendance à la tristesse ?

André Comte-Sponville : Cette citation issue d’un texte intitulé « Crépuscule » décrit justement un état crépusculaire, dans lequel je ne me trouve pas en permanence, rassurez-vous. J’ai souvent des matins lumineux, mais, à mesure que le jour baisse, mon moral tend lui aussi à décliner. Qu’est-ce qui, dans cet état mélancolique, tient à moi, à une complexion personnelle ? Qu’est-ce qui provient de la condition humaine ? Il y a sans doute les deux ! Je suis porté à la mélancolie, j’en suis conscient, et il n’est pas exclu que les gènes y soient pour quelque chose. Mon père, à qui je ressemble beaucoup physiquement, n’était pas non plus très doué pour le bonheur… Mais je crois plus volontiers que l’essentiel de cette tristesse remonte à mon enfance. Cela me fait penser à une phrase de Sartre, dans le portrait qu’il avait fait de son ami Merleau-Ponty, après la mort de ce dernier : « Merleau-Ponty ne s’est jamais remis d’une enfance heureuse. » Cette affirmation m’avait touché, quand je l’ai lue, car, pour ma part, j’avais le sentiment de ne m’être jamais remis d’une enfance malheureuse. Mon père était dur, méprisant, rejetant. Ma mère, dépressive – ce qui la conduira au suicide. J’ai donc appris à vivre et à aimer dans le malheur de ma mère et dans la haine de mon père. Et la philosophie m’a aidé à me guérir un peu de cette enfance, bien plus que la psychanalyse que j’ai suivie pendant deux années. Quand on me demande pourquoi je fais de la philosophie, je réponds souvent : parce que j’étais de tempérament à la fois mélancolique et anxieux, peu doué pour la vie ou le bonheur, un peu plus doué peut-être pour la pensée... Disons que j’ai mis ma puissance de penser au service de ma faiblesse de vivre !

“J’ai mis ma puissance de penser au service de ma faiblesse de vivre”
André Comte-Sponville

 

Quelle différence faites-vous entre mélancolie et anxiété ?

La mélancolie porte surtout sur le présent ou le passé, l’anxiété sur l’avenir. Or il se trouve que je supporte mieux la mélancolie que l’angoisse. Je suis assez armé pour vivre les deuils, pas du tout pour affronter l’imminence d’un malheur. Mon ex-femme et moi avons perdu notre première enfant, une petite fille. D’autres de mes enfants ont eu de graves problèmes de santé. Cela a fait de moi, définitivement, un père anxieux, qui tend à l’emporter sur le fils mélancolique que je fus d’abord, et que je demeure.

 

Votre histoire personnelle mise à part, vous dites qu’un certain fond de tristesse appartient à la condition humaine. Pourquoi ?

Ce n’est pas moi qui ai inventé qu’il y a quelque chose de désespérant dans la condition humaine : on vieillit, on meurt, on est tous voués à la solitude et à une demande d’amour à la fois inextinguible et toujours insatisfaite ! Nous rêvons d’infini et de succès. Nous sommes condamnés à la finitude et à l’échec. J’aime cette autre formule de Sartre : « L’histoire d’une vie, quelle qu’elle soit, est l’histoire d’un échec. » Mon ami Luc Ferry a intitulé l’un de ses livres Qu’est-ce qu’une vie réussie ? [Grasset, 2002]. Drôle d’idée ! Je ne me vois pas dire que j’ai réussi ma vie, cela me semblerait une niaiserie. Les tragiques grecs avaient bien saisi que l’être humain n’est pas fait pour le bonheur ou la réussite, et c’est aussi une leçon de Pascal, lorsqu’il écrit : « Nous ne vivons jamais, nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. » Cet « inévitable » pèse lourd ! Pascal est-il un mélancolique ? Sans doute ! Mais il est surtout quelqu’un de lucide sur la condition humaine : nous sommes incapables d’être heureux – c’est ce qu’il appelle la misère de l’homme – et nous faisons tout pour l’oublier – c’est ce qu’il appelle le divertissement. Cela n’empêche pas d’aimer la vie ! Je n’ai jamais eu de pulsion suicidaire. Je suis content de vivre et souhaite mourir le plus tard possible. Ne confondons pas la mélancolie, au sens ordinaire du mot, avec la psychose maniaco-dépressive ! Victor Hugo écrit joliment : « La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste. » Cette phrase me parle beaucoup. Il y a une forme de tristesse que nous recevons tous en partage, et qui n’est pas pathologique : elle est liée au tragique de notre condition.

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Article issu du dossier "Peut-on être lucide et heureux ?" juillet 2022 Voir le dossier
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