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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Près de Saint-Pétersbourg (Russie), le 8 mars 2020, de jeunes étudiants en médecine russes sont placés en quarantaine. © Peter Kovalev/Tass/Sipa USA/Sipa

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André Comte-Sponville/Francis Wolff. Préférons-nous la santé à la liberté ?

Francis Wolff, propos recueillis par Martin Legros publié le 09 mai 2020 18 min

Le philosophe André Comte-Sponville a brisé l’unanimité de l’opinion sur la crise du Covid-19 en relativisant sa gravité, pointant le risque que le confinement faisait peser sur l’économie et sur les libertés, et soutenant que la vie des jeunes est plus précieuse que celle des personnes âgées. Le philosophe Francis Wolff voit au contraire dans la réaction de l’humanité à cette épreuve le signe d’un progrès politique et moral. Nous avons proposé à ces deux amis de croiser le fer. Une discussion essentielle publiée initialement en version réduite sur le site et que nous livrons ici dans sa forme intégrale.

Dans un texte publié à la veille de la Révolution française, Emmanuel Kant affirmait que la pensée n’est pas une compétence solitaire que chacun conserve par-devers soi en dépit des restrictions que lui impose un pouvoir supérieur ou des circonstances exceptionnelles. « Quelles seraient l’ampleur et la justesse de notre pensée, affirmait Kant, si nous ne pensions pas en quelque sorte en communauté avec d’autres à qui nous communiquerions nos pensées et qui nous communiqueraient les leurs » (Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?). L’usage public de la raison est la seule boussole dont nous disposons pour nous orienter en temps de crise. Cette conviction, née avec les Lumières, est au cœur de la discussion que vous vous apprêtez à lire. Quelques jours après l’arrivée de la pandémie du Covid-19 en France et la décision du président de la République de placer le pays en confinement, André Comte-Sponville, sans remettre en question la légitimité de cette décision, brisait l’unanimité de l’opinion en avançant quatre convictions fortes : cette épidémie n’est pas aussi grave qu’on le craint ; les conséquences économiques risquent, elles, d’être redoutables, en particulier pour les jeunes ; le souci de la santé ne doit pas supplanter celui de la liberté ; enfin, la vie des personnes âgées, dont la sienne propre, n’a pas autant de valeur que celle des jeunes générations. Cette intervention a marqué les esprits et a valu au philosophe d’être interrogé à de nombreuses reprises, réaffirmant chaque fois sa position. Mais, étrangement, alors qu’elle prenait à revers les données factuelles et les principes éthiques au fondement de la politique adoptée par la plupart des gouvernements et du consentement des peuples, elle n’a fait l’objet d’aucune discussion publique, contradictoire et argumentée. Il nous est apparu essentiel que ce débat ait lieu. Et nous avons sollicité à cet effet Francis Wolff, qui voit dans la réaction collective face au Covid un progrès politique et moral de l’humanité. André Comte-Sponville est un philosophe matérialiste athée, proche de Montaigne et de Spinoza, là où Francis Wolff est un humaniste utopiste et cosmopolite, qui s’inspire d’Aristote et de Kant. S’ils appartiennent à des horizons philosophiques distincts, ce sont aussi des amis de longue date qui se lisent et s’apprécient. Est-ce en vertu de cette accointance que leur confrontation, fruit de plusieurs heures d’échanges, est à la fois précise, nuancée et profonde ? Cet exercice public de la raison devrait en tout cas permettre à chacun de se faire, comme disait Kant, une idée « plus juste » et « plus ample » de la situation. 

 

Francis Wolff : Comme nombre de Français, j’ai réagi à l’arrivée de ce virus avec une certaine insouciance. J’avais un voyage programmé à Valence en Espagne, à l’occasion de fêtes annuelles qui réunissent des centaines de milliers de personne dans les rues, et, alors même que l’Espagne était déjà touchée par l’épidémie, j’étais persuadé qu’il serait maintenu. À l’École normale, dont le directeur était déjà atteint par le virus, nous commencions à appliquer vaguement les mesures de distanciation sociale. Tout a changé le 12 mars avec le discours d’Emmanuel Macron. Cela a été un choc. Mon sentiment a alors basculé, je me suis dit : la chose est sérieuse, toute l’Europe va être touchée. Et, de fait, tout a basculé. Macron a fermé les écoles et maintenu les élections, sous la pression des oppositions. Ce qui a rendu l’opinion à la fois sidérée et incrédule. Et nécessité une dramatisation quelques jours plus tard. Mais, dans ces circonstances, quoi que le pouvoir décide, il lui est reproché d’en faire trop ou pas assez…

 

André Comte-Sponville : J’étais moi aussi assez serein. On parlait de 3 200 morts en Chine, où il meurt plus de 9 millions de personnes chaque année. Cela ne bouleversait pas le taux de mortalité ! Puis je me souvenais de l’épidémie de SRAS, en 2003, qui avait été assez vite jugulée… Le confinement m’a donc surpris, même si je l’ai tout de suite pris au sérieux. Vu le prix que cela allait coûter, je me doutais bien que nos gouvernants avaient, pour l’imposer, de très fortes raisons sanitaires. Je le pense toujours.

 

F. W. : La réaction de nombre d’intellectuels m’a agacé. Ils donnaient l’impression d’être revenus plusieurs siècles en arrière, lorsque l’Occident, en proie aux grandes épidémies, y voyait le signe d’un châtiment religieux. On n’invoquait plus Dieu ou le Diable, mais la Nature qui se vengeait parce que nous l’avions trop malmenée, l’exploitation animale ou le monstre néolibéral… L’homme était coupable de se prendre pour le maître du monde, il fallait faire pénitence. Pendant que les intellectuels se livraient à ces appropriations idéologiques de l’événement, dans le monde entier, les scientifiques – médecins, épidémiologistes, mathématiciens – cherchaient à reconstituer le plus soigneusement possible les chaînes de causalité du virus. Ce décalage entre les intellectuels qui (comme les complotistes) cherchaient à tout prix un sens global au Mal et l’attitude des scientifiques qui mettaient à jour rationnellement les causes des maux réels m’a frappé. 

 

A. C-S. : Ce qui m’a gêné, c’est surtout la peur qui s’était emparée des médias et de l’opinion. Tous ne parlaient que de « cauchemar » et de « peur au ventre » ! J’ai beau être un anxieux, je n’ai jamais ressenti cette peur. Les experts évaluaient le taux de létalité du Covid-19 à 0,6 ou 0,7 %. Même si ce taux est un peu plus élevé pour les gens de mon âge, je crains bien plus d’avoir un cancer, un AVC ou la maladie d’Alzheimer (mon père en est mort, après des années d’horreur, ma belle-mère vient d’en mourir, dans un Ehpad) que d’attraper le Covid-19 ! Il y a plus de 600 000 morts par an en France, dont 150 000 meurent de cancer. En quoi les 22 000 morts du Covid méritent-ils davantage notre compassion que les 600 000 autres ? Il y a chaque année, en France, 225 000 nouveaux cas d’Alzheimer. Taux de guérison : 0 %. Taux de guérison du Covid : 99 %. Qu’est-ce qui est le plus effrayant ? Sans parler des 9 millions d’êtres humains (dont 3 millions d’enfants) qui meurent chaque année de malnutrition ! À côté de ces réalités, l’affolement médiatique autour de cette pandémie m’a souvent paru démesuré, voire obscène. On ne parlait plus que de ça ! Tout le reste était oublié, y compris le réchauffement climatique, qui fera beaucoup plus de morts ! J’ai voulu calmer le jeu, en rappelant qu’il y avait des choses beaucoup plus graves, dans le monde et dans la vie, que le Covid-19. 

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