L’honneur retrouvé du “back office”

Denis Maillard publié le 5 min

L’individualisme libéral se berçait de l’illusion que la société n’existait pas. Et si l’une des leçons de la crise était d’avoir rendu visibles et manifestes les métiers les moins considérés, ceux qui relèvent du “back office” ? C’est l’hypothèse du sociologue Denis Maillard, qui invite à repenser la lutte des classes sur de nouvelles bases.

Dans son livre Le Quai de Wigan (1937), George Orwell évoque les mineurs de fond du nord de l’Angleterre. L’écrivain les compare à des « cariatides crasseuses », car, selon lui, toute la société repose sur leur labeur souterrain. Ce travail d’extraction du charbon est, en effet, « une sorte de monde à part qu’on peut aisément ignorer sa vie durant. Il est probable que la plupart des gens préférerait ne jamais en entendre parler. Pourtant, c’est la contrepartie obligée de notre monde d’en haut ». Ainsi, nous dépendons de lui pour « la quasi-totalité des activités auxquelles nous nous livrons, qu’il s’agisse de manger une glace ou de traverser l’Atlantique, de cuire un pain ou d’écrire un roman ».

En France, les mineurs ont disparu, mais une classe a pris le relais : le back office de la société, c’est-à-dire tous ces travailleurs modestes, ces soutiers de l’économie – du livreur à la caissière –, qui, avec les soignants, ont risqué leur vie depuis le mois de mars pour maintenir les services essentiels. Le confinement a rendu visible leur utilité sociale et, avec elle, l’infrastructure sur laquelle reposent le système économique et la société dans son ensemble. 

L’expression « back office » peut prêter à confusion : dans les entreprises, en effet, le front office est le terme employé pour nommer ceux qui sont au contact des clients, des usagers ou des patients. Et le back office désigne ceux qui produisent les marchandises, les transportent et les livrent. Malheureusement, cette distinction, purement descriptive, ne rend pas compte de la place que chacun est amené à occuper, de manière subjective, dans le processus de production, ainsi que de l’expérience vécue du travail qu’il en retire. 

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