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Couverture de la première édition du livre “À l’ombre des majorités silencieuses” (1978). © Denoël

L’extrait

“À l’ombre des majorités silencieuses. La fin du social”, de Jean Baudrillard

Jean Baudrillard publié le 24 septembre 2020 4 min

Dans cet extrait d’une grande actualité d’À l’ombre des majorités silencieuses (1978), Jean Baudrillard analyse le rapport entre les masses, le sens et la sphère politique moderne. Face à une politique-spectacle omniprésente, les individus dépolitisés ou apolitiques sont-ils plutôt fascistes, révolutionnaires… ou ni l’un ni l’autre ? Le passage que nous reproduisons ci-dessous, tiré de la partie intitulée Ni sujet, ni objet, est éclairant à plus d’un titre : le théoricien y opère un subtil renversement dialectique dans la hiérarchie traditionnelle entre classe politique et “peuple”. Qui manipule qui ? “Les masses dépolitisées se seraient pas en deçà mais au-delà du politique.” Explications.

« La sphère politique elle aussi ne vit que d’une hypothèse de crédibilité, à savoir que les masses sont perméables à l’action et au discours, qu’elles ont une opinion, qu’elles sont présentes derrière les sondages et les statistiques. C’est à ce seul prix que la classe politique peut encore croire qu’elle parle et qu’elle est entendue politiquement. Alors que le politique ne fait plus depuis longtemps qu’office de spectacle sur l’écran de la vie privée. Digéré sur le mode du divertissement, mi-sportif, mi-ludique (voir le ticket gagnant des élections américaines, ou les soirs d’élections à la radio ou à la T.V.), sur le mode à la fois fasciné et goguenard des vieilles comédies de mœurs. Le jeu électoral a rejoint depuis longtemps les jeux télévisés dans la conscience du peuple. Celui-ci, qui a toujours servi d’alibi et de figurant à la représentation politique, se venge en se don­nant la représentation théâtrale de la scène politique et de ses acteurs. Le peuple est devenu public. C’est le match ou le film ou la bande dessinée qui servent de modèles de perception de la sphère politique. Le peuple jouit même jour pour jour, comme d’un cinéma à domicile, des fluctuations de sa propre opinion dans la lecture quotidienne des sondages. Rien de tout cela n’engage une responsabilité quelconque. À aucun moment, les masses ne sont engagées politiquement ou historiquement sur un mode conscient. Elles ne l’ont jamais été que pour se faire crever la peau, en pleine irresponsabilité. Et ce n’est pas là une fuite devant le politique, mais l’effet d’un antagonisme inexpiable entre la classe (caste ?) porteuse du social, du politique, de la culture, maîtresse du temps et de l’histoire, et la masse informe, résiduelle, dénuée de sens. Continuellement l’une cherche à perfectionner le règne du sens, à investir, à saturer le champ du social, continuellement l’autre détourne tous les effets de sens, les neutralise ou les rabat. Dans cet affrontement, celui qui l’a emporté n’est pas du tout celui qu’on pense.

 

Ceci peut se voir dans le renversement de valeurs entre histoire et quotidienneté, entre sphère publique et sphère privée. Jusque dans les années 60, l’histoire s’impose comme temps fort : le privé, le quotidien, n’est que le revers obscur de la sphère politique. Au mieux, une dialectique joue entre les deux, et on peut penser qu’un jour le quotidien, comme l’individuel, resplendira au-delà de l’histoire, dans l’universel. Mais en attendant, on ne peut que déplorer le repli des masses sur leur sphère domestique, leur refus de l’histoire, de la politique et de l’universel, et leur absorption dans la quotidienneté abrutie de la consommation (heureusement, elles travaillent, ce qui leur garde un statut historique “objectif”, en attendant la prise de conscience). Aujourd’hui, renversement du temps fort et du temps faible : on commence d’entrevoir que le quotidien, les hommes dans leur banalité pourraient bien ne pas être le revers insignifiant de l’histoire – mieux : que le repli sur le privé pourrait bien être un défi direct au politique, une forme de résistance active à la manipulation politique. Les rôles s’inversent : c’est la banalité de la vie, la vie courante, tout ce qu’on avait stigmatisé de petit-bourgeois, d’abject et d’apolitique (y compris le sexe) qui devient le temps fort, l’histoire et le politique déroulant ailleurs leur événementialité abstraite. 

 

Hypothèse vertigineuse. Les masses dépolitisées se seraient pas en deçà mais au-delà du politique. Le privé, l’innommable, le quotidien, l’insignifiant, les petites ruses, les petites perversions, etc., ne seraient pas en deçà mais au-delà de la représentation. Les masses exécuteraient dans leur pratique “naïve” (et sans avoir attendu les analyses sur la “fin du politique”) la sentence d’annulation du politique, elles seraient spontanément transpolitiques comme elles sont translinguistiques dans leur langage. Mais attention ! De cet univers privé et asocial, qui n’entre pas dans une dialectique de représentation et de dépassement vers l’universel, de cette sphère involutive qui s’oppose à toute révolution au sommet et refuse de jouer le jeu, certains voudraient bien faire (en particulier dans sa version sexuelle et de désir) une nouvelle source d’énergie révolutionnaire, voudraient lui rendre du sens et le restituer comme négativité historique, dans sa banalité même. Exaltation des micro-désirs, des petites différences, des pratiques aveugles, des marginalités anonymes. Dernier sursaut d’intellectuels pour exalter l’insignifiance, promouvoir le non-sens dans l’ordre du sens. Et le reverser à la raison politique. La banalité, l’inertie, l’apolitisme étaient fascistes, ils sont en train de devenir révolutionnaires – sans changer de sens, c’est-à-dire sans cesser d’avoir du sens. Micro-révolution de la banalité, transpolitique du désir – encore un truc des “libérateurs”. Le déni du sens n’a pas de sens. »

 

Jean Baudrillard, Ni sujet, ni objet (pp. 42-45), in : À l’ombre des majorités silencieuses. La fin du social (Denoël / Gonthier, coll. Bibliothèque Médiations, 1978)

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